Les changements fondamentaux initiés par la junte au Costa Rica ont constitué des bases essentielles pour la modernisation de l'État et l’industrialisation. Selon Wilson (1998), la junte a joué un rôle déterminant dans la création d'institutions autonomes pour la fourniture de services aux habitants, comme l’électricité, ainsi que dans la nationalisation des banques et l’établissement d’une nouvelle constitution. La suppression de l'armée faisait également partie de cette réforme. Ces actions ont facilité un processus de transformation économique et sociale qui a permis au Costa Rica de poser les bases nécessaires pour une industrialisation durable. L'introduction de nouvelles infrastructures dans les secteurs de l’énergie, de l’eau, des télécommunications, ainsi que des investissements dans l’éducation, la santé et la redistribution des revenus ont été des éléments-clés qui ont favorisé la croissance économique et le bien-être social (Wilson 1998).
À partir des années 1950 jusqu'aux années 1970, le Costa Rica a cherché à diversifier son économie, traditionnellement dominée par l'agriculture, en s’ouvrant davantage à l’industrie et au commerce. Les politiques de diversification ont permis à l’économie de se stabiliser en réduisant sa dépendance à des produits agricoles sensibles aux fluctuations des prix mondiaux, comme le café et les bananes. En 1970, l’économie du pays était considérablement plus diversifiée et prospère qu’en 1950. Entre 1950 et 1980, le Costa Rica a vu une amélioration significative dans des domaines tels que la réduction de l'analphabétisme, la baisse de la mortalité infantile, l'augmentation de l'espérance de vie, et un meilleur accès à l’assainissement et à l’électricité. Sous les présidences du Parti de Libération Nationale (PLN) dans les années 1970, les services sociaux ont été étendus, comprenant la mise en place d'un système de sécurité sociale et d'un plan national de santé. Ces avancées ont eu des répercussions positives sur la population, contribuant à l'amélioration des conditions de vie et à une réduction générale de la pauvreté (Wilson 1998).
Cependant, cette diversification économique n'a pas été sans conséquences environnementales. L'expansion de l'industrie du bétail a conduit à une déforestation massive, en particulier dans les années 1950, avec un pic notable dans les années 1980. Augelli (1989) mentionne que l'usage des terres agricoles et des pâturages pour le bétail a augmenté de plus de 250 % entre 1950 et 1984, entraînant des taux de déforestation parmi les plus élevés au monde. La demande croissante de viande bovine aux États-Unis a exacerbé cette situation. Face à cette crise environnementale, l'État a pris des mesures pour limiter la déforestation, notamment avec l’adoption de la loi forestière de 1969, qui a jeté les bases de la création de parcs nationaux. Le soutien gouvernemental aux parcs reposait sur la conviction qu’ils contribueraient non seulement à préserver la faune et la flore nationales, mais aussi à encourager le tourisme et la recherche scientifique. Grâce à l’aide internationale, notamment des États-Unis et des organisations multilatérales, le Costa Rica a pu développer son réseau de parcs nationaux (Evans 1999).
Malgré ces efforts, la crise économique qui a frappé l’Amérique latine dans les années 1980 a eu des répercussions dramatiques. En raison de la chute des prix du café, de l’instabilité régionale et de la hausse des prix du pétrole, le Costa Rica a vu sa dette internationale atteindre des sommets alarmants, culminant à 4 milliards de dollars en 1983, ce qui en faisait l’un des pays les plus endettés par habitant au monde. Face à cette situation, le pays a dû adapter ses stratégies économiques. L'administration Monge (1982-1986) a redirigé l'économie vers la production d’exportations agricoles non traditionnelles, telles que l'ananas, les crevettes et les textiles. Les politiques économiques ont évolué dans une direction néolibérale, bien que Wilson (1998) soutienne que le rôle des institutions financières internationales (IFI) dans ce tournant ait été exagéré, arguant que beaucoup de ces changements étaient impulsés par les politiques internes du Costa Rica.
En dépit des défis économiques et environnementaux des années 1970 et 1980, le Costa Rica a su maintenir une stabilité relative par rapport à ses voisins comme le Nicaragua et El Salvador, qui ont connu des révolutions violentes et une instabilité continue. Le Costa Rica a vu des progrès notables dans les domaines du bien-être social et de la bonne gouvernance, surpassant ses voisins en matière de développement humain. La crise de la dette et les fluctuations économiques mondiales ont eu un impact sur les politiques environnementales, mais le pays a continué de mettre en œuvre des initiatives visant à protéger son environnement naturel, notamment à travers l'expansion des zones protégées.
Dans un contexte plus large, la comparaison avec d'autres nations d’Amérique latine révèle que les dynamiques sociales et économiques, souvent influencées par des élites économiques puissantes et des politiques extractives, ont façonné des trajectoires de développement divergentes. Le cas de l'Équateur, par exemple, montre comment l'exploitation pétrolière a engendré des modèles de développement extractivistes, où les bénéfices étaient souvent minimes pour la population locale et les inégalités se sont exacerbées au fil du temps.
Les politiques environnementales de ces pays ont été marquées par des choix entre croissance économique rapide et durabilité environnementale. Si certains, comme le Costa Rica, ont réussi à inverser la tendance à la déforestation, d’autres, comme l’Équateur, ont vu la richesse extraite de leurs ressources naturelles se concentrer entre les mains de quelques-uns, sans bénéfices durables pour l’ensemble de la population. Le développement économique et les politiques environnementales, loin d’être indépendants, sont souvent liés à des enjeux sociaux et politiques plus vastes.
Comment la neutralité carbone a façonné l'avenir environnemental du Costa Rica
Le Costa Rica, souvent perçu comme un modèle de gestion environnementale, a vu ses efforts de conservation et de durabilité se cristalliser autour de projets ambitieux. L’un des plus significatifs a été la création de l'ONG "Costa Rica Forever" en 2010, avec pour objectif principal de financer la protection des parcs nationaux du pays, un rêve cher à l'ancien directeur du Département des Parcs Nationaux, Álvaro Ugalde. Ce dernier exprimait son souhait de pouvoir créer un fonds durable pour ces espaces naturels avant de « mourir heureux ». Si ce projet n'a pas été entièrement dénué de politique, il a permis de renforcer le financement de la conservation grâce à une méthode de collecte de fonds innovante et un réseau international d’ONG écologiques.
L’histoire de l’organisation est marquée par une gestion délicate de ses relations politiques, notamment avec l'ex-président Oscar Arias. Bien qu’Arias ne fût pas directement impliqué dans la création de l’ONG, sa position et son influence ont été déterminantes pour l’obtenir des financements internationaux. Un exemple marquant de ce processus implique un généreux donateur américain qui, après une rencontre avec Arias, a permis à l’ONG de débuter avec un soutien financier crucial. La présence d’Arias a sans doute facilité la tâche des fondateurs de l'association, en partie grâce à sa capacité à convaincre des donateurs potentiels que la cause environnementale du Costa Rica méritait un soutien.
L’ambition de "Costa Rica Forever" s’est ensuite élargie pour inclure la préservation des zones marines du pays. L’ONG s'est non seulement concentrée sur les parcs terrestres mais aussi sur les écosystèmes marins, faisant écho à un mouvement plus large de la part de l’administration d'Arias pour connecter la protection de la nature à d’autres secteurs tels que le tourisme et les droits humains. Ce lien entre conservation et autres enjeux de société a été renforcé par l'engagement de nombreux acteurs internationaux, dont des organisations comme Conservation International et The Nature Conservancy, contribuant ainsi à donner une dimension globale à l’effort costaricien.
Le rôle central du président Arias ne se limite pas à l’aspect financier. En 2007, une autre initiative notable est née sous sa présidence : l'engagement du Costa Rica pour la neutralité carbone, un projet qui a acquis une visibilité et un soutien politique sans précédent. Ce projet a été perçu comme une « vision politique » d'un pays cherchant à s'affirmer comme leader mondial dans la lutte contre le changement climatique. Bien que la réalisation complète de cet objectif ait été un défi, il a permis de structurer les actions nationales en matière de changement climatique et de sensibiliser les citoyens et les entreprises à l’importance de la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le concept de neutralité carbone, loin d’être un simple slogan, a impliqué un travail de longue haleine pour inclure le changement climatique dans les agendas de ministères autres que celui de l’Environnement (MINAE). En effet, pour réussir, la politique de neutralité carbone a dû transcender les frontières de l'environnement pur et intégrer des secteurs comme l’agriculture, les transports et l’énergie, soulignant ainsi l'importance de faire de la transition climatique une question de développement et non seulement une question écologique.
L’impact de cet engagement va au-delà de la simple réduction des émissions. Il a instauré une culture de sensibilisation au changement climatique au Costa Rica, où le public, les entreprises et même les autorités ont commencé à percevoir le changement climatique non comme une menace lointaine, mais comme une réalité tangible nécessitant une réponse collective. Le caractère politique de la neutralité carbone, avec son soutien à la fois populaire et institutionnel, a permis d'ouvrir un espace pour une réflexion approfondie sur la manière dont le pays pouvait se réinventer écologiquement tout en poursuivant ses objectifs de développement économique.
Le modèle du Costa Rica, à travers des initiatives comme "Costa Rica Forever" et l'engagement pour la neutralité carbone, a non seulement renforcé la position du pays sur la scène internationale, mais a aussi contribué à la construction d’une identité nationale liée à la protection de la nature. Toutefois, ces initiatives ont également mis en lumière les défis qui se posent à un petit pays en développement cherchant à concilier préservation environnementale et croissance économique. Bien que la neutralité carbone n’ait pas encore été atteinte, elle a permis d’établir une base solide pour la gestion climatique du pays.
Pour mieux comprendre la portée de ces efforts, il est essentiel de prendre en compte l’engagement à long terme des acteurs locaux et internationaux, la complexité des choix politiques nécessaires et les tensions entre les objectifs environnementaux et les besoins économiques du Costa Rica. De plus, il convient de reconnaître que la mise en œuvre de politiques ambitieuses de ce type nécessite une collaboration constante entre les secteurs publics et privés, tout en tenant compte des réalités sociales et économiques locales. La neutralité carbone n’est pas simplement un objectif environnemental, mais un véritable levier pour repenser le modèle de développement national dans un contexte global où les enjeux climatiques sont devenus primordiaux.
Comment les inégalités sociales et économiques affectent la gouvernance et les objectifs de décarbonisation du Costa Rica ?
Au Costa Rica, un phénomène inquiétant se dessine, illustrant la fragilité d’une stabilité économique et politique qui semble de plus en plus menacée par des inégalités croissantes. Si l'on observe l’évolution de la société costaricienne, la montée des inégalités a un impact direct sur les politiques publiques, en particulier celles qui visent à protéger l'environnement et à atténuer le changement climatique. Dans un contexte où les élites se désengagent de plus en plus de l'investissement dans le bien-être collectif, les décisions de gouvernance semblent moins pertinentes, et chaque individu est perçu comme étant laissé à lui-même, ce qui alimente la corruption. La situation est d’autant plus complexe dans le secteur touristique, qui, bien qu’il ait contribué à l'essor économique du pays, exacerbe également les inégalités internes.
Le tourisme, aujourd’hui largement dominé par des hôtels appartenant à des multinationales, est responsable d'une concentration des richesses, plutôt que de leur redistribution. Dans des régions comme Guanacaste, les grandes stations balnéaires all-inclusive destinées à une clientèle internationale ont progressivement exclu les populations locales, notamment celles qui n'ont pas accès à des ressources économiques suffisantes. Ce phénomène est d'autant plus frappant dans le contexte d'une économie néolibérale, où les incitations fiscales pour attirer les investissements étrangers entraînent une concentration des bénéfices au détriment des communautés locales. La pauvreté grandissante parmi les Costariciens n’ayant pas accès aux richesses générées par le tourisme devient alors un moteur d'exclusion sociale et économique, réduisant les opportunités pour ces groupes de participer pleinement à l'essor national.
Le secteur touristique a progressivement évolué depuis ses origines dans les années 1990, lorsque l'écotourisme à petite échelle était vu comme un moyen de valoriser les ressources naturelles du pays tout en assurant une redistribution équitable des bénéfices. Aujourd’hui, les grandes structures touristiques font entrer dans le pays des touristes principalement issus du nord global, augmentant ainsi l’inaccessibilité financière de certaines régions, comme les plages et la forêt tropicale. Ce phénomène a pour conséquence une exclusion croissante de nombreux Costariciens, qui, faute de ressources et d’infrastructure, sont laissés à l'écart des activités touristiques principales. Il s'agit d'une fracture sociale et géographique qui se creuse, non seulement entre les riches et les pauvres, mais aussi entre les différentes régions du pays.
Malgré ces défis, il est possible de transformer ce secteur en une force positive pour l'économie locale et pour la justice sociale. Pour cela, il serait nécessaire de promouvoir une plus grande propriété locale des destinations touristiques, afin que les bénéfices de l’industrie profitent davantage aux habitants du pays. Cette approche pourrait offrir une nouvelle opportunité pour redonner à l'écotourisme sa vocation originelle, c'est-à-dire celle de contribuer au développement durable et de servir de levier pour un mieux-être collectif.
Le chemin vers une société plus juste et équitable passe par une intervention plus directe dans la politique publique, notamment en veillant à inclure tous les Costa Riciens, qu'ils soient issus des communautés marginalisées ou des classes plus privilégiées. L'exemple des politiques climatiques, comme le plan de décarbonisation de 2018, montre qu'il est possible de concilier objectifs environnementaux et droits sociaux. Ce plan a notamment souligné l'importance d'inclure les populations autochtones dans les processus de changement, reconnaissant leur rôle crucial dans la gestion durable des ressources naturelles. Cependant, ces paroles doivent être suivies d’actions concrètes pour garantir que ces engagements se traduisent par une amélioration tangible des conditions de vie de l'ensemble des Costa Riciens, et non seulement d'une petite élite.
Le modèle de gouvernance nécessaire pour faire face à ces enjeux est celui d'une gouvernance inclusive, capable de rassembler les différents acteurs de la société autour d’objectifs communs. Ce modèle pourrait s’inspirer de l'exemple du conflit autour des mines d’or à Las Crucitas, où la mobilisation des habitants des régions plus favorisées, en collaboration avec les défenseurs de l'environnement, a permis de stopper un projet de mine particulièrement nuisible. Cependant, il est à noter que les changements structurels nécessaires dépendent souvent des volontés politiques et du soutien des dirigeants, ce qui rend la situation d'autant plus fragile.
Pour le Costa Rica, un avenir durable nécessite une gouvernance à la fois efficace et équitable, une gouvernance qui prenne en compte les besoins de toutes les populations. Ce n’est qu'en favorisant un processus inclusif de transformation sociale, où les objectifs écologiques sont indissociables des objectifs de justice sociale, que le pays pourra espérer faire face aux défis du changement climatique et parvenir à la décarbonisation.
Les leçons à tirer de cette analyse sont multiples et peuvent s’appliquer à d’autres pays en transition vers une économie plus verte. Les pays avec des structures de classes plus égalitaires sont plus enclins à s’engager dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre et à respecter leurs engagements climatiques. De même, une gouvernance de qualité, orientée vers l'inclusion sociale et économique, est un facteur clé dans la réussite des politiques de réduction des émissions. En revanche, lorsque l’économie d’un pays se détourne des principes de redistribution et se rapproche d’un modèle néolibéral, les inégalités se creusent, compromettant ainsi les chances de succès de ses engagements climatiques.

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