La pandémie de Covid-19 a révélé bien plus que des questions de santé publique. Au-delà de l’urgence sanitaire, elle a exposé la division profonde des États-Unis, une fracture qui n’était pas seulement liée à l’infection, mais également aux valeurs et symboles sociaux qui ont façonné la réponse du gouvernement, et particulièrement celle de Donald Trump. Le port du masque, simple mesure préventive, est devenu un symbole politique puissant, un marqueur d'allégeance ou de résistance selon l'idéologie politique adoptée. Ce phénomène ne s'explique pas uniquement par une crise sanitaire, mais par un contexte sociopolitique, où le néolibéralisme a profondément influencé la manière dont les Américains ont perçu leur responsabilité individuelle et collective.

Lorsque la pandémie a frappé, le port du masque n’était plus une simple question de santé publique ; il est devenu un acte symbolique. Les déclarations de Trump et de ses alliés politiques ont contribué à ce phénomène. Au lieu d’inciter à une réponse collective face à la crise, ces voix ont mis l’accent sur la liberté individuelle et la réouverture rapide de l’économie, souvent au détriment de la santé publique. En dénigrant l’importance des mesures sanitaires, Trump et d'autres figures politiques ont transformé la non-utilisation du masque en un geste politique, un acte de défi face au gouvernement et à ses politiques. Ne pas porter de masque est devenu un acte de résistance, une façon de s’aligner avec l’idéal de "liberté" néolibérale prôné par Trump et ses partisans.

L’une des actions les plus frappantes a été l’attitude de Trump lui-même, qui, après avoir été testé positif au virus, est apparu sur le balcon de la Maison Blanche, retirant son masque dans un geste théâtral, comme pour incarner une victoire sur la pandémie, mais aussi une défiance envers l'autorité et les règles de santé publique. Ce geste n’était pas simplement un acte de protestation, mais un symbole puissant du rejet des normes collectives et de la priorité accordée à la liberté individuelle. Ce geste résonnait profondément avec les valeurs néolibérales : l’individu avant tout, l’État en arrière-plan, et une responsabilité individuelle qui prime sur toute action collective.

Dans ce contexte, il est crucial de comprendre que le néolibéralisme ne se contente pas d’influencer les politiques économiques, il façonne également les valeurs culturelles et sociales d'une nation. Cette philosophie économique repose sur la primauté de l'individu, la libre concurrence et la minimisation de l'intervention gouvernementale. Les discours néolibéraux tendent à relativiser la responsabilité collective et à favoriser l’autosuffisance, souvent au détriment du bien-être collectif. Les concepts de "liberté" et d'"autonomie" sont centralisés dans un cadre qui privilégie les intérêts individuels plutôt que le bien commun.

Ce phénomène s'inscrit dans une dynamique plus large de rejet des politiques collectives, de solidarité sociale et de l'idée même de cohésion communautaire. Dans les années précédant la pandémie, le néolibéralisme avait déjà redéfini le rôle de l’État et des institutions publiques dans la vie quotidienne. L’individu était de plus en plus perçu comme un acteur autonome, capable de prendre des décisions indépendantes, sans être contraint par l’intervention de l'État ou par la pression de la communauté.

Il est important de comprendre que ces valeurs de liberté et d’individualisme, loin de n’être que des choix personnels, ont été amplifiées par un discours politique et culturel qui leur donne une légitimité particulière dans le contexte de la pandémie. Le refus du port du masque, loin d’être un simple acte de non-conformité, devient un moyen d’affirmer son appartenance à un groupe idéologique, celui des partisans du "Make America Great Again" (MAGA), pour qui toute forme d’autorité gouvernementale est perçue comme une atteinte à la liberté personnelle.

Le néolibéralisme, en insistant sur l’individu et en reléguant les actions collectives au second plan, a donc favorisé une dynamique où les comportements individuels, comme le port ou le non-port du masque, sont devenus des marqueurs idéologiques. Ce phénomène a renforcé la polarisation de la société américaine pendant la pandémie, où la solidarité et l’action collective ont été perçues comme des menaces à la liberté personnelle, et où la "liberté" est devenue une excuse pour refuser toute mesure collective, même si ces mesures étaient destinées à protéger la santé publique.

La pandémie de Covid-19 a mis en lumière la tension entre l’individualisme néolibéral et la nécessité de solidarité dans une crise sanitaire mondiale. Ce conflit ne concerne pas uniquement la question du port du masque, mais aussi la manière dont une société entière répond à un danger partagé. La crise a montré que le néolibéralisme, en valorisant l’individualisme et la liberté, a souvent entravé la mise en place de politiques publiques efficaces pour lutter contre la pandémie, au profit de la défense d’intérêts personnels et idéologiques.

Il convient également de noter que cette polarisation n’est pas simplement le fruit de la rhétorique de Trump et de ses alliés. Elle reflète une transformation plus large de la culture politique américaine, où les notions de responsabilité collective et de bien-être social ont été largement érodées par des décennies de néolibéralisme. Le défi auquel les États-Unis étaient confrontés durant cette crise sanitaire n’était donc pas seulement médical, mais aussi culturel et idéologique. La pandémie a révélé les fractures profondes d’une société qui, en dépit de la nécessité d’une réponse collective, a préféré se diviser selon des lignes idéologiques marquées par l’individualisme.

Pourquoi certains individus, comme Paul Manafort et Michael Cohen, adhèrent-ils à une politique de transgression des règles sous l'influence de Donald Trump ?

Les affaires de Paul Manafort et Michael Cohen offrent un éclairage fascinant sur les dynamiques de pouvoir, de transgression des règles et de victimisation dans l'univers politique de Donald Trump. Le parcours de Manafort, ancien directeur de campagne de Trump, est marqué par un comportement récurrent de violation des lois et des normes sociales, que ce soit dans ses affaires personnelles ou politiques. Ce qui ressort avant tout, c'est une profonde conviction d'impunité. Comme le note Amy Berman Jackson, la juge qui a condamné Manafort, il est difficile de sous-estimer la quantité de mensonges et l'étendue de la fraude dans ses actions. Mais c'est surtout la manière dont Manafort, à travers ses déclarations et son comportement, se positionne en victime d'un système prétendument injuste qui illustre un phénomène répandu sous la présidence de Trump : l'inversion des rôles où les coupables se présentent comme des persécutés.

Les soutiens de Trump, y compris ce dernier lui-même, ont souvent rejeté toute responsabilité en affirmant que des règles, normalement appliquées à d'autres, ne s'appliquaient pas à eux. Dans un tweet de juin 2018, Trump qualifie de "très injuste" le traitement réservé à Manafort, tout en minimisant ses crimes en évoquant son rôle au sein du Parti républicain, qu’il perçoit comme un bouclier moral contre toute forme de sanction. Ce tweet résume bien le phénomène de victimisation dans lequel des individus comme Manafort, bien qu'ils aient enfreint la loi, se considèrent comme des victimes de "l'establishment", et trouvent une forme de solidarité au sein du cercle Trump.

Le voisin de Manafort, Lewis Berman, apporte une perspective intéressante sur ce type de caractère. En racontant comment Manafort a construit une maison trois mètres plus haute que les règles de zonage ne le permettaient et comment il a ignoré les plaintes concernant son comportement vis-à-vis de ses voisins, Berman brosse le portrait d’un homme dont les principes de base du respect des lois et des valeurs ne signifient rien. Manafort incarne une forme d'entitlement, ce sentiment d'avoir droit à plus que les autres, mais surtout d'être au-dessus des règles. Ce comportement n'est pas une exception dans le monde de Trump ; au contraire, il semble être la norme.

Michael Cohen, quant à lui, offre une perspective différente mais complémentaire. Avant de devenir l’avocat personnel de Trump, Cohen était un avocat d'affaires plus conventionnel. Toutefois, son attraction pour Trump et son mode de gestion des affaires, qui flirte constamment avec la transgression, l'a conduit à abandonner ses principes professionnels au profit d'une loyauté aveugle. Dans son livre Disloyal, Cohen décrit comment Trump, qu'il compare à un chef de la mafia, utilise l’humiliation et la brutalité non seulement comme outils de pouvoir mais aussi comme sources de plaisir. Pour Cohen, comme pour beaucoup d'autres, l'appel à l’autorité violente et l’humiliation des autres deviennent des instruments d'attraction irrésistibles.

L'expérience de Cohen et Manafort montre comment Trump, par son propre comportement de violation des règles, crée un environnement où les règles sont perçues comme des obstacles à l'exercice du pouvoir personnel. La logique derrière ce comportement est insidieuse : il s'agit de subvertir les attentes sociales et juridiques pour renforcer une position de domination. Ce phénomène ne se limite pas à Trump lui-même, mais se reflète dans le comportement de ses alliés et de ses partisans, qui adoptent souvent des stratégies similaires pour justifier leurs propres actions.

Enfin, une dimension souvent négligée dans l’analyse de cette dynamique est la question du rôle de la culture du spectacle et de l’humiliation dans l’ascension de Trump. La popularité de Trump a été en grande partie alimentée par sa capacité à manipuler les émotions du public à travers des actes de violence verbale et psychologique. Son célèbre slogan "You're fired" n’était pas simplement une phrase banale dans une émission de télévision, mais un acte symbolique de domination, de rejet, et d’humiliation, qu’il a étendu à son gouvernement. Cette culture de la soumission et de la transgression des règles par le biais de la violence verbale et psychologique devient un modèle d’identification pour ceux qui se sentent eux-mêmes marginalisés ou privés de pouvoir.

Le phénomène Trump n'est donc pas simplement celui d'un homme qui défie les règles ; il s'agit d'une transformation profonde du sens de la justice et de l'autorité dans le cadre politique américain. Ceux qui l’entourent, à l'instar de Manafort et Cohen, sont d'abord attirés par cette vision du monde où les règles n’ont pas de place, et où la véritable mesure de la réussite est la capacité à imposer sa propre loi. Mais au-delà de ces histoires de transgression individuelle, il est crucial de comprendre comment cette culture a façonné une large partie de l'électorat de Trump, qui perçoit dans sa violation des normes une forme de légitimité.