Le mouvement identitaire en Europe, bien que composé d’un nombre relativement restreint d’activistes — environ 800 en Allemagne à l’été 2018 — joue un rôle majeur en tant que foyer spirituel et idéologique pour une frange radicale de l’extrême droite. Cette mouvance, souvent qualifiée par les services de renseignement allemands de « droite extrême », se caractérise par son rejet catégorique des individus issus d’origines non européennes. Elle promeut une vision ethnoculturelle exclusive, affirmant que ceux qui ne partagent pas ces « qualifications ethniques » ne peuvent jamais faire partie d’une culture commune, ce qui conduit à des discriminations incompatibles avec les principes fondamentaux des démocraties occidentales.

L’essor du mouvement identitaire a été marqué par des actions symboliques destinées à faire surgir un mythe politique puissant. Par exemple, en avril 2016, les Identitaires ont interrompu une pièce de théâtre jouée notamment par des réfugiés, ce qui a provoqué une couverture médiatique significative. Toutefois, leurs activités ont aussi suscité des réactions de rejet de la part des grandes plateformes numériques, avec le blocage de leurs pages Facebook et Instagram en Allemagne, en Autriche, puis en France en 2018. Ces mesures illustrent la volonté des autorités et des opérateurs privés de limiter la diffusion de leurs idées.

Le lien entre le mouvement identitaire et la violence d’extrême droite n’est plus seulement théorique. L’attaque terroriste de Christchurch en Nouvelle-Zélande, en mars 2019, qui a causé la mort de 50 personnes, a révélé des connexions directes avec les Identitaires. Le terroriste Brenton Tarrant a fait des dons à plusieurs figures clés du mouvement, dont Martin Sellner, principal porte-parole autrichien, à qui il a versé 1500 euros. Des échanges de mails entre les deux ont été mis au jour, où Sellner invitait le terroriste à partager un moment à Vienne. De plus, Tarrant a financé les Identitaires français, soulignant ainsi l’interconnexion transnationale entre idéologies identitaires et passages à l’acte violents.

L’idéologie des Identitaires s’appuie notamment sur le concept de « Grand Remplacement » formulé par l’intellectuel français Renaud Camus. Ce concept est au cœur du manifeste de Tarrant, soulignant le caractère central de cette théorie dans la radicalisation violente. Les autorités britanniques ont d’ailleurs refusé à Sellner le droit d’entrée sur leur territoire, invoquant le rôle de son organisation dans la provocation à la haine raciale et la division sociale.

Par ailleurs, la mobilisation des Identitaires ne se limite pas à l’Allemagne, la France et l’Autriche. On observe une tentative d’internationalisation, avec des connexions dans les pays baltes, comme en Estonie, où des rencontres culturelles et idéologiques ont eu lieu, mettant en avant des figures et doctrines à tendance fasciste, telles que celles de P. R. Stephensen, cofondateur du parti fasciste « Australia First Movement ». L’étendue de ces réseaux souligne une volonté de recomposition des forces d’extrême droite à l’échelle européenne, cherchant à occuper les espaces publics par des actions anti-islam et xénophobes.

Il est fondamental de saisir que le mouvement identitaire, malgré son apparente marginalité quantitative, exerce une influence disproportionnée en créant une narration puissante qui nourrit et légitime la radicalisation. Cette dynamique est amplifiée par l’interconnexion internationale entre militants, financements et idées, ce qui favorise l’émergence de violence extrême. Par ailleurs, leur stratégie de communication, basée sur des actions symboliques et la provocation, vise à manipuler le débat public et à installer une rhétorique d’exclusion culturelle.

Comprendre cette mouvance implique aussi de reconnaître la fragilité de certaines démocraties face à ces discours identitaires. La transgression répétée des frontières juridiques, notamment en matière d’incitation à la haine et d’atteinte à la dignité humaine, met en lumière les défis auxquels font face les institutions pour protéger la cohésion sociale sans porter atteinte aux libertés fondamentales. De plus, la diffusion de ces idées via internet et réseaux sociaux nécessite une vigilance accrue, car la virtualité facilite la propagation d’un imaginaire violent et conspiratoire.

Au-delà du simple constat, il est crucial d’analyser comment ce phénomène s’inscrit dans un contexte plus large de crises identitaires, économiques et politiques en Europe. Le sentiment d’insécurité culturelle, exploité par les Identitaires, résonne avec des frustrations profondes qui peuvent être instrumentalisées pour justifier le rejet de l’autre et l’hostilité envers les minorités. Cette lecture plus globale permet d’appréhender les racines du phénomène et d’envisager des réponses qui dépassent la seule répression policière, en intégrant des actions éducatives, sociales et politiques.

Comment le terrorisme d’extrême droite solo s’est-il transformé à l’ère numérique ?

Le terrorisme d’extrême droite a pris une forme nouvelle et inquiétante, particulièrement visible dans les démocraties occidentales contemporaines. Autrefois lié à des réseaux organisés et des groupes structurés, il se manifeste désormais souvent par des acteurs isolés, les « loups solitaires », qui ne dépendent plus nécessairement d’une appartenance formelle à une organisation. Cette mutation est largement permise par les technologies numériques et les plateformes en ligne qui facilitent la mise en relation de personnes partageant des idéologies similaires, transcendant les frontières nationales. Il en résulte une prolifération de passages à l’acte violents qui échappent à la détection classique, car ces individus agissent souvent sans laisser de traces tangibles ni revendications formelles.

Les écrits comme le « Blood & Honour Field Manual » incarnent cette idéologie violente, poussant à une radicalisation extrême et à une glorification du combat jusqu’à la mort. L’exemple de John Ausonius, loué dans ce manuel, illustre la volonté de ces terroristes isolés de frapper par des actes symboliques destinés à terroriser et à faire passer un message haineux contre les minorités ethniques et les immigrants. Cette haine se nourrit d’un rejet de la société et d’un besoin maladif d’attribution des responsabilités à des boucs émissaires, avec une radicalisation souvent encouragée par des interactions sur des forums, dans des jeux vidéo violents, ou sur le dark net.

L’ère actuelle marque une cinquième vague de terrorisme, après l’anarchisme, les luttes anticoloniales, l’extrémisme de gauche, puis le terrorisme islamiste. Cette dernière vague est caractérisée par des attaques perpétrées par des individus isolés, mobilisés par des idéologies diverses et connectés par Internet. Ces « loups solitaires » ne correspondent plus aux images traditionnelles de groupes violents réunis dans des lieux physiques, ni à des militants manifestant en nombre. Ils exploitent au contraire l’anonymat numérique pour planifier et commettre des actes de violence, rendant la prévention plus complexe.

La difficulté majeure réside dans la perception de ces actes, souvent minimisés ou mal compris parce qu’ils ne s’inscrivent pas dans un cadre organisationnel clair. Les médias et les autorités éprouvent des difficultés à évaluer cette menace, qui, par sa nature diffuse, ne produit pas de scène visible et identifiable. Cette invisibilité contribue à une forme de banalisation et à une vulnérabilité accrue face à la glorification des auteurs de ces actes, une tentation que les autorités tentent de combattre afin d’éviter que ces individus ne deviennent des modèles.

Le recours à Internet a permis non seulement la radicalisation mais aussi la connexion transnationale entre ces acteurs, comme le montre l’exemple d’un terroriste actif à Munich, en lien avec un autre à New Mexico via une plateforme de jeu en ligne. Ce phénomène souligne que le terrorisme d’extrême droite s’inscrit désormais dans une dynamique globale, échappant aux limites géopolitiques classiques.

Il importe de ne pas céder ni au fatalisme ni à la panique. La réponse doit être mesurée, fondée sur une compréhension rigoureuse du phénomène. Ce terrorisme n’est pas une fatalité inévitable, mais un danger que l’on peut anticiper et contrer par une meilleure détection des signaux d’alerte. Ces signaux sont souvent le reflet d’une interaction complexe entre des facteurs personnels et sociaux, comme la marginalisation, la frustration et l’endoctrinement idéologique.

La lutte contre ce terrorisme passe ainsi par une vigilance accrue dans les sphères numériques, la formation d’experts capables d’analyser les réseaux virtuels, et le développement de stratégies globales de prévention. Il faut aussi comprendre que ces actes sont le symptôme d’un malaise sociétal plus profond, où la montée des discours haineux et de l’exclusion nourrissent la radicalisation. Le renforcement des liens sociaux, l’éducation au respect de la diversité et la résilience démocratique constituent des réponses essentielles pour limiter la propagation de cette haine.

Il est crucial d’intégrer dans cette analyse la prise en compte des motivations psychologiques des auteurs isolés, souvent animés par un sentiment d’exclusion ou de frustration sociale. Le recours à la violence devient alors pour eux un moyen de donner un sens à leur existence, une tentative désespérée d’affirmer une identité dans un monde perçu comme hostile. Comprendre ces dimensions permet de mieux adapter les dispositifs de prévention, allant au-delà de la seule répression.

La complexité du terrorisme d’extrême droite « solo » réside aussi dans sa capacité à se réinventer constamment, à utiliser les évolutions technologiques pour se propager et à toucher des individus de milieux très divers. Ce phénomène appelle donc une réponse dynamique, nourrie par la recherche interdisciplinaire et la coopération internationale, afin de ne pas rester aveugle face à une menace qui continue de croître en dépit de son caractère diffus.