L'importance de l'information dans une société démocratique a toujours été reconnue comme essentielle. Des penseurs comme Thomas Jefferson, bien que sa citation soit souvent mal interprétée, ont souligné que la liberté d'un peuple dépend de sa capacité à s'informer correctement. Cette idée s'est répandue dans diverses disciplines telles que la science politique, la sociologie, l'économie et la psychologie, où l'on croit généralement que l'accès à une information correcte permet aux individus de prendre des décisions éclairées. En politique, une meilleure compréhension du paysage idéologique et des politiques des partis devrait théoriquement mener à des décisions plus justes et collectivement bénéfiques.
Cependant, les recherches empiriques semblent mettre en question cette vision idéalisée. Dans les années 1960, des chercheurs de l’Université du Michigan, tels que Campbell et Converse, ont constaté dans leur étude The American Voter que les attitudes politiques des électeurs américains étaient loin d’être rationnelles et sophistiquées. Au lieu de prendre des décisions informées, les citoyens étaient souvent influencés par des croyances profondément enracinées et peu réfléchies. D’autres études similaires, comme celles de Key et Butler, ont montré que ce phénomène ne se limitait pas aux États-Unis, mais était également présent en Grande-Bretagne. La science politique a alors dû faire face à un dilemme : comment expliquer que, malgré une abondance d'informations, les citoyens prennent des décisions apparemment irrationnelles ?
Deux principales théories ont émergé pour tenter d’expliquer ce phénomène. La première soutient que, même si l'information est mal utilisée, les décisions démocratiques restent rationnelles à un niveau agrégé. La seconde avance que les individus prennent des décisions politiques en se basant sur des processus heuristiques, c'est-à-dire en s’appuyant sur des raccourcis cognitifs, souvent guidés par les élites politiques et les médias. Cette approche suggère que les électeurs, faute de temps ou de connaissances, se fient à des informations simples et répétées par des sources jugées fiables, comme les leaders politiques ou les médias de masse.
Cela mène à une question cruciale : pourquoi, malgré l’accès à une quantité d’informations inédite, de nombreux électeurs semblent encore mal informés ou influencés par des fausses informations ? Un élément clé réside dans la manière dont l’information est présentée. Aujourd'hui, dans le cadre des campagnes politiques, les fausses informations (ou "fake news") sont de plus en plus utilisées comme une arme émotionnelle. Ce phénomène est particulièrement visible dans des événements comme le référendum sur le Brexit en 2016, où des affirmations faussement rassurantes ou alarmistes ont été diffusées pour influencer les émotions et l’opinion publique. Par exemple, le mensonge selon lequel la Grande-Bretagne enverrait 350 millions de livres chaque semaine à l’Union Européenne a été largement véhiculé par les partisans du Brexit. Ce chiffre, bien que réfuté, a exploité les peurs économiques des citoyens pour gagner des soutiens.
Les campagnes de manipulation de l’opinion publique reposent sur l’exploitation des émotions humaines, telles que la peur, la colère ou l’espoir. Ces émotions ont le pouvoir de court-circuiter le raisonnement logique, conduisant ainsi les individus à prendre des décisions sur des bases émotionnelles plutôt que rationnelles. Le phénomène des "fake news" est une conséquence directe de cette dynamique. Les mensonges et les exagérations sont plus susceptibles de capter l'attention et de provoquer une réponse émotionnelle que des informations factuelles et nuancées. Cela crée une situation où, même avec un accès facile à l’information, celle-ci est souvent perçue à travers un prisme émotionnel qui déforme la réalité.
Le rôle des médias et des réseaux sociaux dans cette évolution est crucial. D’une part, les plateformes numériques permettent une diffusion rapide et massive de l’information, ce qui peut être bénéfique dans certains cas. Mais d’autre part, ces mêmes plateformes sont devenues des terrains fertiles pour la propagation des "fake news". La viralité des contenus, couplée à des algorithmes qui privilégient les informations susceptibles de susciter des réactions émotionnelles fortes, renforce l’impact de ces informations déformées.
Ce phénomène n’est pas limité à la simple diffusion de fausses informations, mais concerne également la manière dont celles-ci sont intégrées dans le débat public. La multiplication des canaux d’information a permis aux campagnes politiques de plus en plus sophistiquées d’être lancées, exploitant les divisions idéologiques et les biais cognitifs des électeurs. Les "fake news" ne sont plus seulement des mensonges isolés, mais des outils stratégiques permettant de manipuler le débat public et de polariser davantage les sociétés.
Un autre aspect à prendre en compte est l’impact à long terme de cette propagation de fausses informations. La politique post-vérité, qui se caractérise par un déni de la réalité au profit de récits émotionnels et idéologiques, menace la qualité du discours démocratique. La persistance de ces récits peut altérer la manière dont les individus perçoivent la vérité, créant ainsi une fracture entre la réalité factuelle et la perception populaire des événements. En conséquence, la confiance dans les institutions politiques et médiatiques s’érode, ce qui peut avoir des répercussions graves sur la stabilité politique et sociale.
Il est essentiel de comprendre que la manipulation de l’information n’est pas un phénomène passager, mais un changement profond dans la manière dont les individus interagissent avec la politique et la société. L'explosion des "fake news" comme arme émotionnelle n’est pas seulement une question de vérité, mais une question de pouvoir. Celui qui contrôle l’information détient une forme de pouvoir immense, capable de modeler les croyances et les actions de millions de personnes.
Pourquoi la "décadence de la vérité" menace-t-elle la démocratie moderne ?
La question de l'intégrité de l'information dans les sociétés contemporaines est devenue plus pressante au fur et à mesure que l'on constate que des citoyens agissent contre leurs propres intérêts, influencés par des informations déformées ou totalement fausses (Acshen et Bartel, 2016). Ce phénomène de "décadence de la vérité", tel que le définissent Kavanagh et Rich (2018), s'exprime à travers plusieurs tendances observables qui déstabilisent les fondements mêmes de notre compréhension du réel. Les auteurs identifient quatre grands traits caractéristiques de cette évolution :
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Un désaccord croissant sur les faits et leur interprétation ;
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Un flou entre l'opinion et le fait ;
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Une domination des opinions et expériences personnelles sur les faits ;
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Une érosion de la confiance envers les sources respectées d'informations factuelles.
Chacune de ces tendances représente un défi individuel dans la capacité à distinguer le factuel du fictif. Cependant, ce qui leur permet de se déployer avec autant d'efficacité, c'est leur convergence stratégique, soutenue par des moyens sophistiqués comme la micro-ciblage des messages sur les réseaux sociaux. Ce phénomène a permis à la décadence de la vérité non seulement de croître, mais de prospérer.
L'un des aspects les plus inquiétants de cette tendance est l'utilisation des biais cognitifs et des profils émotionnels des individus pour manipuler leurs perceptions. Cela ne concerne pas seulement l'usage de faits erronés ou de théories du complot, mais aussi la manière dont les informations sont présentées pour susciter des réactions émotionnelles puissantes, notamment la polarisation politique accrue. Ce processus n’est pas limité aux États-Unis, mais touche également l’Europe, avec des événements comme le Brexit, la montée des partis populistes et la croissance des mouvements autonomistes qui mettent en évidence la vulnérabilité des démocraties face à ces nouvelles dynamiques.
Dans ce contexte, la manière dont les informations circulent et la possibilité de les manipuler devient un enjeu majeur pour les institutions démocratiques. À travers les plateformes numériques, un espace de plus en plus vaste se crée pour les acteurs non étatiques, souvent animés par des intérêts financiers ou idéologiques, capables de lancer des campagnes de "désinformation" à grande échelle. Si les premières promesses d'Internet mettaient en avant sa capacité à renforcer les démocraties, il est aujourd'hui évident que ces mêmes technologies alimentent la fragmentation de l'information et la polarisation des sociétés.
Une des conséquences les plus préoccupantes de cette "décadence de la vérité" est la perte de la capacité à débattre d'un même ensemble de faits. Les informations sont non seulement fragmentées mais noyées dans une mer de fausses vérités et de rumeurs, créant un environnement où il devient de plus en plus difficile pour les individus de distinguer ce qui est réel de ce qui ne l'est pas. Ce phénomène n’est pas sans impact psychologique : l’exposition continue à des informations fausses ou contradictoires épuise la capacité de raisonnement des citoyens, engendrant une forme d’inertie collective qui fragilise le tissu démocratique.
Au niveau individuel, l'acceptation de fausses nouvelles et de théories du complot correspond souvent à des motivations épistémiques négatives, telles que le désir de renforcer une identité partagée ou de justifier des croyances préexistantes. Cela conduit à une pensée déformée et dogmatique, voire à des hallucinations cognitives dans des cas extrêmes. L'impact de ces biais est dévastateur car il empêche l'individu d'analyser objectivement les informations et d'agir de manière rationnelle, essentiel au bon fonctionnement de toute démocratie.
Cette dynamique devient encore plus dangereuse lorsqu'elle se traduit par des tentatives de manipulation à une échelle plus vaste, par exemple, à travers l’utilisation stratégique des fausses nouvelles à des fins politiques. La désinformation n’est pas seulement un outil pour créer la confusion : elle devient un moyen de contrôle politique, renforçant la polarisation et rendant plus difficile tout effort de réconciliation sociale. Les gouvernements, qui autrefois jouaient un rôle central dans la gestion de l’information, sont désormais eux-mêmes des acteurs de ce processus. En témoigne l'usage croissant de la "fake news" par certains régimes pour détourner l'attention des véritables enjeux, ou pour justifier des politiques de plus en plus autoritaires.
Enfin, il est important de noter que la propagation des fausses nouvelles dans le contexte d'une crise démocratique n'est pas simplement le fruit du hasard. Les périodes de grande instabilité politique et économique, comme celle que traverse actuellement une grande partie du monde, ouvrent des espaces où les acteurs malveillants peuvent extraire des bénéfices en exacerbant la division sociale et politique. Ce contexte de conflit et d'incertitude est idéal pour diffuser des informations trompeuses et empêcher des changements structurels, comme ceux nécessaires pour répondre aux défis du changement climatique ou pour réformer les systèmes économiques obsolètes.
Le véritable danger de cette situation réside dans le fait que, dans un environnement saturé d’informations erronées, les réponses institutionnelles efficaces sont de plus en plus difficiles à mettre en œuvre. Il devient ainsi quasiment impossible d’atteindre une solution démocratique cohérente lorsque les citoyens eux-mêmes, embourbés dans un océan de faussetés, sont incapables de se mobiliser pour des causes collectives.
Comment l'innovation technologique modifie-t-elle le processus de vérification des faits dans le journalisme moderne ?
Le projet "The Fact Assistant" s'inscrit dans un contexte où les journalistes, confrontés à une surcharge de travail et à un besoin croissant de vérifier les informations rapidement, cherchent des outils pour améliorer leur productivité et la fiabilité de leurs reportages. Le défi majeur est de concilier la rapidité de production des nouvelles, désormais dictée par les exigences numériques, avec la rigueur nécessaire à la vérification des faits. Ce projet visait à créer une application capable de répondre à cette exigence en fournissant aux journalistes un assistant numérique pour faciliter la vérification des informations dans leur travail quotidien.
Le processus de développement de l'application a commencé en 2019, dirigé par Walid Al-Saqaf, un chercheur spécialisé dans l'usage d'Internet et des médias. Lors de sa première mise en place, un prototype fonctionnel a été testé dans des ateliers à Södertörn University, en Suède. Les premiers tests ont impliqué principalement des étudiants en journalisme, mais l'objectif était de permettre à un plus grand nombre de journalistes professionnels de contribuer à l'élaboration de l'outil. Cependant, malgré une réception positive de la part des journalistes présents aux ateliers, leur engagement réel est resté limité. Leurs commentaires ont révélé une difficulté à dégager du temps, un problème récurrent dans l'industrie du journalisme, déjà surchargée.
En dépit de cette réticence à s'impliquer davantage, une nouvelle version améliorée de l'application a été lancée en 2020, mais le contexte de la pandémie de Covid-19 a empêché les tests en conditions réelles dans les rédactions. Les tests de convivialité menés à distance via Zoom ont permis de confirmer que l'application répondait aux besoins des journalistes, mais il restait des questions sur son adoption réelle à long terme. La principale conclusion tirée des tests était qu'une forte demande pour des outils de vérification des faits était présente, mais leur adoption ne semblait pas aussi évidente que prévu.
Ce projet souligne une problématique majeure du journalisme contemporain : la tension entre la nécessité de produire de l'information rapidement et l'exigence de maintenir un haut niveau de véracité. Les journalistes, déjà confrontés à une multitude de tâches et de plateformes à gérer, semblent submergés par la quantité d'outils et de technologies proposées, sans pour autant adopter systématiquement ces nouvelles ressources. Ce phénomène de "fatigue technologique" est un obstacle qui mérite d'être pris en compte dans le développement d'outils pour les professionnels des médias.
La situation actuelle du journalisme, marquée par des mutations profondes liées à la numérisation et à l'émergence de nouvelles formes de consommation de l'information, a modifié la manière dont les journalistes abordent la vérification des faits. L'émergence de la "post-vérité" et des "fake news" a conduit à un débat sur l'avenir de la profession, avec des conséquences sur l'autorité des journalistes et leur position dans l'espace public. De plus, la prolifération des sources d'information et la diffusion d'opinions souvent contradictoires sur les réseaux sociaux ont réduit le rôle traditionnel de gatekeeper des journalistes.
Les journalistes se retrouvent ainsi pris entre les exigences de rapidité et de productivité imposées par le numérique et la nécessité de maintenir des standards éthiques élevés, souvent en contradiction avec les impératifs de l'industrie des médias, qui valorise de plus en plus la rentabilité au détriment de la qualité de l'information. Cette situation s'accompagne d'une précarisation du métier, avec une augmentation des licenciements et des fermetures de rédactions, ainsi qu'une gestion plus flexible et plus réactive du personnel. Cette évolution a conduit à une instabilité dans les pratiques professionnelles et une remise en question de la place des journalistes dans le processus de production de l'information.
Le besoin de rétablir la confiance dans le journalisme, et en particulier dans la vérification des faits, reste crucial dans ce contexte. Bien que des outils comme "The Fact Assistant" puissent représenter une avancée, leur adoption réelle par les journalistes dépendra de leur capacité à s'intégrer dans des environnements de travail déjà saturés, et à surmonter la résistance au changement. Une meilleure compréhension des obstacles pratiques à l'utilisation de ces outils, ainsi qu'une révision des méthodes de formation et d'intégration dans les workflows des journalistes, seront essentielles pour que ces innovations technologiques puissent effectivement contribuer à la restauration de la crédibilité et de l'autorité du journalisme dans l'ère numérique.
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