Les concepts économiques dominants ont longtemps été au cœur des analyses classiques. Cependant, un nombre croissant de théoriciens et d'activistes, en particulier dans le domaine de l'économie féministe, s'engagent dans une déconstruction de ces idées pour en exposer les failles et les injustices structurelles. L’économie féministe, telle que définie par Himmelweit (2018), reconnaît que les relations de genre sont une caractéristique structurelle fondamentale de toute économie. Il ne s'agit pas simplement d'adapter ou de réformer les structures économiques existantes, mais de comprendre et de transformer la structure sociale dans son ensemble, qui inclut la mise en valeur des activités de soins et leur importance essentielle pour le fonctionnement de l’économie.
Une des avancées conceptuelles majeures de l'économie féministe est la redéfinition du travail, de la production et des relations sociales. Il devient crucial de comprendre comment les économies se reproduisent et quel rôle les relations sociales jouent dans ce processus. Dans ce cadre, l'importance du travail non rémunéré, des activités de soins et de la reproduction sociale est mise en lumière, et elle remet en question l'idée d'une économie qui fonctionnerait indépendamment de ces éléments essentiels. Ce point de vue s'oppose directement aux modèles économiques dominants qui négligent ces aspects pour se concentrer uniquement sur la production et la consommation de biens marchands.
L'une des grandes critiques portées contre les systèmes économiques dominants, notamment le capitalisme patriarcal, est qu'ils reposent sur des mécanismes de domination et de subordination. Cela se manifeste par l'exploitation des femmes, mais aussi de la nature, dans des sociétés où la culture patriarcale prédomine. Selon les éco-féministes, cette domination des femmes et de la nature est intrinsèquement liée et leur libération passe par une transformation radicale des structures économiques et sociales existantes. Vandana Shiva, figure de proue de l'éco-féminisme, affirme que "les femmes et la nature sont intimement liées, et leur domination et libération sont donc également interconnectées". Ainsi, les mouvements féministes et écologiques doivent être considérés comme unis dans la lutte contre un développement malorienté, où les deux sont subordonnés à un modèle de croissance économique capitaliste et patriarcal.
Cependant, l'économie féministe ne se limite pas à critiquer ces structures, elle propose également de nouveaux modèles. Nelson, une figure de proue de l'économie féministe, plaide pour une réorientation de l'économie autour de la notion de "provisionnement social", ou de la manière dont les sociétés assurent leur reproduction sociale. Cette approche s'intéresse à la manière dont les ressources, qu'elles soient humaines, naturelles ou sociales, sont distribuées et utilisées au sein des communautés. Ce modèle met en avant les relations de soin et le travail domestique, qui, bien que souvent invisibles dans les systèmes économiques traditionnels, sont fondamentaux pour la perpétuation de la société.
L’éco-féminisme est donc profondément ancré dans une critique du capitalisme et des pratiques économiques qui dévalorisent la nature et le travail de soins. Il s'agit d'un mouvement qui cherche à transformer radicalement non seulement l'économie, mais aussi la manière dont les individus interagissent avec l'environnement et entre eux. Une telle transformation implique de repenser la manière dont les ressources sont allouées et distribuées, tout en remettant en question les structures de pouvoir et de domination qui gouvernent les sociétés actuelles.
Cependant, la position de Nelson se distingue de celle de certains autres économistes féministes, qui adoptent des vues plus radicales. Par exemple, des économistes comme Bauhardt (2014) et des partisans du mouvement de la décroissance cherchent à imaginer un avenir économique au-delà du capitalisme, en prônant un modèle qui s'oppose à la croissance infinie et à l’exploitation coloniale. Ces perspectives proposent des alternatives qui ne se contentent pas d’améliorer le système existant, mais qui remettent en cause ses fondements mêmes.
Il est essentiel de comprendre que l'économie féministe, en dépit de ses critiques et de ses remises en question radicales, ne se limite pas à des utopies irréalistes. Elle cherche à créer des espaces où les relations économiques peuvent être réorganisées de manière plus juste, plus égalitaire et plus respectueuse de l'environnement. Cette transformation nécessite une réflexion profonde sur la manière dont les ressources et les pouvoirs sont actuellement répartis dans le monde et sur la manière dont ces structures peuvent être redéfinies pour favoriser une véritable équité entre les sexes et un respect plus profond de la nature.
La critique de l’économie dominante par l’économie féministe va au-delà de la simple critique des inégalités de genre : elle interroge la légitimité même des structures économiques actuelles et propose une vision radicale du rôle de la production, du travail et des ressources dans nos sociétés. La transformation de ces structures, loin de se limiter à une réforme superficielle, appelle à une réorganisation globale des priorités sociales et économiques.
La politique publique et les institutions pour une participation délibérative inclusive : un regard critique sur l'économie écologique sociale
Les recherches menées par Claudia Carter et moi-même ont permis de construire un cadre robuste pour examiner la participation délibérative inclusive, en nous appuyant sur des équipes de recherche déjà établies et en ajoutant des collaborateurs de renom, tels que Bruna de Marchi, Arild Vatn, Federico Aguilera-Klink, et d’autres. Ce travail a notamment trouvé son écho dans les conférences 'Frontiers' de l'ESEE, l'une d'entre elles étant organisée à Tenerife par Juan Sanchez-Garcia et Federico Aguilera-Klink. Cependant, au fur et à mesure des échanges et réflexions, il est devenu évident qu’une simple réflexion sur le capitalisme de marché et ses effets ne suffisait plus. Un aspect fondamental, celui de la dimension sociale des enjeux écologiques, a émergé. Le terme « socio-économique », autrefois utilisé dans nos recherches à Aberdeen, a fini par apparaître comme réducteur, voire dévalorisant, à mesure que la dimension sociale prenait de plus en plus de place dans le débat académique.
Un autre développement important réside dans l’impossibilité d’une véritable collaboration entre les économistes écologiques dits hétérodoxes et leurs homologues mainstream. Certaines tentatives académiques, comme les discussions avec Jack Knetsch sur la psychologie des valeurs, avaient bien tenté d'ouvrir un dialogue, mais elles ne pouvaient, en réalité, que remettre en question la validité même des théories néoclassiques. En outre, l’essor de l’idéologie néolibérale a renforcé le capitalisme de marché, mettant ainsi les gouvernements au service des intérêts des entreprises, des banquiers et des financiers. Cela a conduit à un profond clivage dans les communautés académiques, soulevant des interrogations sur le rôle de l’idéologie dans la science économique.
Après la première décennie de l’ESEE, période pendant laquelle j’ai occupé les fonctions de vice-président et de président, une réflexion s’est engagée au sein de la communauté sur ses orientations. Une revue exhaustive, sous forme de collection en quatre volumes (Spash, 2009a), a permis de remettre en question les bases mêmes de l’économie écologique, tout en consolidant mon intérêt pour les conflits inhérents au dépassement de l’économie dominante. Mes idées ont été partagées lors de la conférence de l’Association for Heterodox Economics (AHE) en 2009, où Ali Douai avait organisé le thème « L’économie hétérodoxe et le développement durable ». À cette époque, mes échanges avec Ali portaient sur ce que je commençais à appeler l’« économie écologique sociale ». Ces discussions ont été un ferment intellectuel important pour l’émergence de concepts clés dans ce domaine, ainsi qu’une publication dans l’American Journal of Economics and Sociology (Spash, 2011).
L’intérêt pour l’hétérodoxie s’est intensifié au fur et à mesure que mes recherches s’élargissaient aux dimensions philosophiques et macroéconomiques. Dès les années 1990, j’ai exploré les connexions entre l’économie écologique et le post-keynésianisme, collaborant notamment avec des économistes comme Marc Lavoie. En 2009, j’ai eu l’opportunité de produire un volume collectif en lien avec ces réflexions, tout en abordant les relations entre l’économie hétérodoxe et les défis écologiques. Ce travail a coïncidé avec des échanges avec Peter Söderbaum sur la philosophie des sciences et sur les enjeux idéologiques sous-jacents à l’économie écologique. Ces réflexions ont été renforcées par mes interactions avec Thomas Uebel, qui a mis en lumière des dimensions critiques issues de la philosophie de l’économie.
Ma découverte du réalisme critique, dans le cadre de séminaires à Cambridge avec Tony Lawson, et mes discussions avec Alan Holland et John O’Neill ont aussi nourri mon approche. Ces rencontres ont permis de développer une compréhension plus profonde des débats théoriques sur l’épistémologie et l’ontologie qui sous-tendent les sciences sociales et économiques. Au fur et à mesure, ces travaux m’ont permis de forger une position plus radicale et plus inclusive, axée sur la transformation sociale et écologique.
L’un des enjeux centraux de cette réflexion a été de relier la pensée économique à une analyse critique des crises environnementales et sociales. L'économie actuelle, dominée par des principes néoclassiques et un capitalisme de marché avide, échoue à répondre aux défis écologiques. L’idée de proposer un paradigme économique social et écologique radical se fait alors nécessaire, un paradigme capable de repenser les formes de production et de consommation, et d'offrir des modèles économiques qui prennent en compte non seulement les besoins humains immédiats mais aussi ceux des générations futures, ainsi que les droits des autres formes de vie. C’est dans cette perspective que l’on peut trouver une réponse aux crises actuelles : non pas en poursuivant une logique de croissance infinie, mais en explorant des voies permettant de redéfinir ce que signifie « vivre de manière significative » tout en respectant les limites écologiques.
Les travaux de Karl William Kapp sur l'intégration des sciences et les concepts d'économie sociale et écologique restent essentiels dans cette réflexion. Son analyse des coûts externalisés et de la dynamique des marchés de prix, notamment à travers le concept de "cost-shifting", éclaire la manière dont les entreprises, par leur action, font peser des coûts sur la société et l’environnement. Kapp, et ses disciples comme Rolf Steppacher, ont ouvert des pistes intéressantes pour une compréhension plus intégrée des crises écologiques, bien au-delà des limites imposées par l’économie orthodoxe. Son approche, tout en étant ancrée dans des traditions économiques occidentales, n’exclut pas pour autant d’autres formes de savoirs. C’est ce genre de dialogue entre différentes traditions de pensée, ainsi que l’inclusivité dans la recherche de solutions, qui définissent l’orientation future de l’économie écologique sociale.
Enfin, l’intégration de ces idées dans des formations académiques, comme le M.Sc. en « Social Ecological Economics and Policy » (SEEP), montre la pertinence de l’enseignement pour la réflexion et l’évolution des concepts. L’interaction constante avec les étudiants m’a permis de clarifier et de redéfinir mes positions, apportant une dimension pragmatique à des théories souvent abstraites. Enseigner la philosophie des sciences et la manière dont les connaissances peuvent se combiner pour former un nouveau paradigme économique est sans doute l’une des voies les plus efficaces pour clarifier ces questions et amener de nouvelles perspectives dans le domaine de l’économie écologique.
Comment les idéologies influencent la recherche scientifique et la transformation sociale : Une critique du réalisme critique
Les idéologies, au-delà de leur rôle traditionnel dans les systèmes politiques, influencent profondément les démarches scientifiques et les processus de transformation sociale. Selon la théorie de l'hégémonie de Gramsci et ses idées sur les révolutions passives, les forces qui cherchent à transformer le système économique et politique doivent comprendre comment ces idéologies peuvent neutraliser ou freiner tout changement véritable. Cette dynamique est d’autant plus pertinente lorsqu’il s’agit de comprendre pourquoi certaines tentatives de transformation sociale, notamment écologique, échouent (Spash, 2021). L'idéologie, loin d'être un simple sous-produit de l’organisation sociale, devient un moteur, souvent inconscient, des orientations politiques et des pratiques scientifiques.
Freeden (2003) définit une idéologie comme un ensemble d'idées, de croyances et de valeurs qui non seulement reflète des schémas récurrents au sein de groupes significatifs, mais qui cherche également à influencer la politique publique. Selon lui, une idéologie se distingue par sa capacité à justifier, contester ou transformer les arrangements sociaux et politiques d'une communauté. Cette définition implique une vision de la science non seulement comme un processus d'acquisition de connaissances objectives, mais aussi comme une entreprise politique, porteuse d’idéologies susceptibles d'influencer la société de manière profonde.
La question de l'objectivité en science, notamment en sciences sociales, n'est pas aussi simple que la séparation nette entre faits et valeurs. Au contraire, le processus scientifique est intimement lié aux croyances et valeurs des chercheurs, ce qui rend chaque recherche non seulement une quête de vérité, mais également un acte politique. Le scientisme positiviste, qui postule la séparation stricte entre l'objectivité des faits et la subjectivité des valeurs, est donc mis en question par le réalisme critique. En effet, ce dernier fait valoir que les sciences humaines, contrairement aux sciences naturelles, sont inextricablement liées à des valeurs, et cette relation est loin d’être neutre.
Les sciences sociales, par exemple, ne peuvent éviter d’aborder des questions normatives liées à la justice sociale, à l’écologie ou à l’inégalité, car elles touchent à des idées fondamentales qui régissent la société. Ce n’est pas un hasard si des idéologies comme le marxisme ou le modernisme ont émergé, cherchant à transformer l’idéologie dominante – que ce soit en renversant le capitalisme ou en proposant une vision plus technologique et rationnelle de l’organisation sociale. Cette dynamique montre que la science n'est pas un domaine isolé des préoccupations sociales, mais qu'elle en est intrinsèquement influencée et influente.
Dans ce contexte, la critique des idées et des valeurs sociétales devient une partie intégrante de la recherche en sciences sociales. Le réalisme critique permet d'intégrer une analyse des mécanismes structurels qui sous-tendent les inégalités sociales et environnementales. Il s’agit d’une approche qui va au-delà de la simple description des phénomènes sociaux pour en expliquer les causes profondes, souvent invisibles. Ce processus implique de dévoiler les pratiques et croyances qui reproduisent des relations sociales injustes et insoutenables (Puller et Smith, 2017).
Ainsi, le rôle de la critique dans les sciences sociales dépasse celui d’une simple réévaluation des idées dominantes : elle devient un moyen d’émancipation. La critique n'est pas seulement une posture intellectuelle, mais un appel à l’action, un moyen de remédier à des systèmes sociaux injustes. Par exemple, les mécanismes idéologiques qui soutiennent la logique des marchés libres et la croissance matérielle sont souvent ceux qui justifient des pratiques coloniales, l’exploitation des ressources et la destruction de l’environnement. La science, en tant que pratique sociale, a ainsi pour vocation de dénoncer ces idéologies et de proposer des alternatives qui ne soient pas seulement théoriques, mais aussi pratiques et concrètes.
Un aspect fondamental de cette démarche critique est que les sciences sociales ne peuvent pas se prétendre « neutres ». En énonçant que des institutions causent de fausses croyances, la science critique ne se contente pas de décrire, mais critique activement les structures qui entretiennent ces croyances. L’objectif n’est pas simplement de démontrer qu’une institution ou une pratique est erronée, mais de proposer des solutions concrètes pour les remplacer par des structures plus justes, plus transparentes et plus durables. Cette approche se distingue radicalement de celle des sciences naturelles, où la découverte d’une vérité scientifique ne remet pas en question la nature même de l’objet étudié.
Dans le domaine des sciences sociales, par exemple, l’idée que certaines croyances fausses soient systématiquement maintenues pour préserver un pouvoir existant pose un défi à la légitimité des institutions en place. Cette critique se double alors d’une action qui cherche à transformer les structures de pouvoir et de domination, à travers une réflexion sur les causes idéologiques et les mécanismes de reproduction de ces structures. Le réalisme critique invite ainsi à repenser la relation entre la science, la société et l'éthique : les deux ne sont pas simplement juxtaposés, mais interagissent de manière complexe et dynamique.
Il est essentiel de comprendre que, dans ce cadre, la recherche scientifique ne peut être dissociée des enjeux sociaux et politiques. Les idées, qu'elles soient conscientes ou non, façonnent les objectifs de la science et influencent les interprétations des résultats. Toute recherche qui se prétend neutre, en occultant son ancrage idéologique, se prive de la possibilité d’une véritable remise en question de l’ordre social établi. C’est à travers cette critique que les sciences sociales, en particulier, peuvent espérer jouer un rôle dans la transformation des structures sociales, en exposant les mécanismes de pouvoir et en offrant des alternatives fondées sur une réflexion éthique profonde.
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