Les événements marquants de l’histoire ont souvent été interprétés à travers le prisme de la tyrannie. Une des figures emblématiques de cette idée est le roi George III, que les révolutionnaires américains ont accusé de tyrannie. Si Thomas Jefferson ne voyait en lui qu’un despote détestable, John Adams, quant à lui, le trouvait plus mesuré et courtois. L’ironie du destin réside dans le fait que George III souffrait d’une maladie, la porphyrie, qui aurait contribué à sa vision déformée de l’autorité. Cette maladie a alimenté l’image d’un roi en proie à une forme de folie, un aspect qui n’a pas échappé aux critiques tant en Angleterre qu’au sein des poètes et penseurs libéraux, comme Shelley, qui en 1819 décrit le royaume d’Angleterre sous le joug d’un « vieux, fou, aveugle, détesté et mourant roi ». Pourtant, à l’occasion du jubilé de George III en 1810, certains, comme le révérend Hollingsworth, louaient son rôle dans la défense de l’ordre et de la loi contre l’anarchie qui se répandait à travers l’Europe.

Le concept de tyrannie s’est également retrouvé au cœur des débats sur l’esclavage aux États-Unis. Abraham Lincoln, lui aussi accusé de tyrannie, se battait pour l’abolition de l’esclavage, qu’il considérait comme une forme manifeste de tyrannie, un pouvoir illégitime imposé à des individus privés de leur liberté fondamentale. Cependant, dans le Sud, où la résistance à l’abolition était forte, Lincoln était perçu comme un tyran, un oppresseur. Après son assassinat par John Wilkes Booth, l’assassin fut célébré comme un héros, et ce même par certains éditorialistes du Texas qui le considéraient comme un justicier ayant tué le tyran d’un peuple opprimé.

Ces événements, qu’ils concernent George III ou Lincoln, illustrent à quel point la notion de tyrannie est relative et manipulée selon les intérêts politiques de ceux qui la dénoncent. Ce qui apparaît comme tyrannique pour certains peut être considéré comme une forme de justice ou d’ordre pour d’autres. Ce phénomène n’est pas isolé, mais constitue un aspect fondamental du caractère humain et politique. Le tyran, dans l’imaginaire collectif, évoque des figures historiques terrifiantes, telles que Néron, Caligula ou Attila, qui ont marqué de leur empreinte le paysage tragique de l’humanité. Cette vision nous rappelle que les tyrans d’hier sont souvent des personnages redoutés, mais il est important de souligner que les chefs d’État contemporains, même ceux qui ont suscité des controverses comme Obama ou Trump, n’appartiennent pas à cette catégorie. Comparer ces figures modernes aux tyrans historiques revient à sous-estimer la gravité des atrocités passées et à surestimer le pouvoir relatif d’une présidence démocratique.

Le système politique américain, avec ses mécanismes de contrôle et de séparation des pouvoirs, cherche à prévenir la montée en puissance de tyrans. Cependant, ce système est loin d’être parfait, et les divisions internes entre les citoyens sur ce qui constitue ou non la tyrannie en témoignent. Ce conflit intérieur reflète les fractures profondes au sein de la société, où chaque génération semble devoir affronter sa propre version de la tyrannie, tout en s’efforçant de maintenir l’équilibre entre liberté et ordre.

La question de la tyrannie s’inscrit également dans un cadre philosophique plus vaste, un concept souvent lié à la tragédie humaine. Le terme « tragique » ne désigne pas simplement la souffrance ou la perte, mais plutôt l’expérience inévitable de l’humanité face à des conflits fondamentaux. Ces conflits ne sont pas simplement externes, mais aussi internes, car nous portons en nous-mêmes les germes du tyran, du flatteur et du « sot ». Le tyran, poussé par une soif insatiable de pouvoir, se laisse emporter par la cupidité et l’égoïsme. Le flatteur, pour sa part, est celui qui manipule la situation pour en tirer un profit personnel, tandis que le « sot » se contente d’ignorer la morale tant que son divertissement est assuré. Ces archétypes ne sont pas seulement des figures historiques, mais des traits humains universels qui nous habitent tous dans une certaine mesure.

L’histoire, qu’elle soit personnelle ou collective, se déroule souvent dans un contexte de chaos et de désordre. Ce n’est qu’au moment où tout semble stable que surviennent les « tremblements de terre » de l’histoire — ces événements imprévisibles qui bouleversent l’ordre établi et qui nous rappellent la fragilité de nos sociétés. Les élections, comme celles de 2016 aux États-Unis, sont des exemples typiques de ces moments de rupture. La victoire inattendue de Donald Trump, contre toute attente, montre à quel point la politique peut déjouer les prévisions et remettre en question les certitudes du présent.

À travers cette analyse, il devient évident que la tyrannie, loin d’être un phénomène isolé, est un élément récurrent de l’histoire humaine. Le pouvoir, la manipulation, la liberté et le destin des sociétés sont inextricablement liés. Cependant, il est crucial de comprendre que la tyrannie ne se manifeste pas toujours sous une forme apparente ou brutale. Parfois, elle se cache dans des formes plus subtiles, dans les discours séduisants et les promesses populistes qui exploitent les peurs et les faiblesses humaines.

Les débats autour de la tyrannie, qu’ils concernent des personnages historiques comme George III ou des figures politiques contemporaines comme Trump, soulignent l’importance de la réflexion sur le pouvoir et la liberté. Le tyran n’est pas seulement celui qui exerce une domination manifeste, mais aussi celui qui profite de la fragilité humaine et de la tendance naturelle à l’obéissance. En cela, les leçons du passé restent d’une pertinence cruciale pour comprendre les dynamiques actuelles. La tyrannie n’est jamais un phénomène du passé, elle est toujours une menace qui se cache sous la surface de la politique et des relations humaines.

La tyrannie moderne et l'héritage de Platon : une analyse du pouvoir et de ses soutiens

Dans l'histoire des sociétés, la tyrannie, sous diverses formes, n'a jamais cessé d'exister. Récemment, l'exemple de Donald Trump a mis en lumière un phénomène qui, bien qu'apparenté à une forme de tyrannie, a été limité par le cadre constitutionnel des États-Unis, empêchant ainsi l'ascension d'une véritable dictature. Toutefois, la dynamique qu'il a incarnée, avec ses courtisans et sa foule enragée, n'est pas nouvelle. Elle s'inscrit dans une tradition ancienne où la tyrannie, les sycophantes et les masses ignorantes se retrouvent constamment sur la scène politique. Ce phénomène, que nous observerons tout au long de cette analyse, trouve des racines dans la Grèce antique et peut nous éclairer sur les dangers auxquels les sociétés modernes peuvent être confrontées.

Il est crucial de noter que la tyrannie, par définition, est une forme de gouvernement excessive, violant les normes et les lois établies. Lors de l'attaque du Capitole le 6 janvier, une tentative de perturber l'ordre constitutionnel des États-Unis a eu lieu. La tyrannie se caractérise par le dépassement des règles et des lois, comme le soulignait John Locke : « Là où la loi se termine, commence la tyrannie. » En ce sens, la tyrannie est intrinsèquement criminelle, bien que le tyran lui-même croit souvent que ses actions sont justifiées. Il se perçoit comme un être exceptionnel, au-dessus des lois. Ce sentiment d’exceptionnalité est soutenu par des sycophantes qui flattent son ego, et les masses, aveuglées, l'encouragent dans cette illusion.

L'un des aspects les plus intrigants de cette dynamique est l'influence du langage émotionnel, qui est fréquemment lié à la violence. Un tyran, convaincu de son exceptionnalisme, incite la foule par des discours puissants et émotionnels. En appelant à la « lutte » et à la « fierté », il transforme des idées abstraites en des revendications de violence concrètes. Cette mobilisation émotionnelle a été parfaitement illustrée par Trump lors de ses discours, où il a encouragé ses partisans à « se battre comme l'enfer », tout en attisant le ressentiment contre ses adversaires politiques. Bien que ses paroles ne puissent être directement interprétées comme une incitation à la violence, l'atmosphère qu'il a créée a favorisé un climat où l'éruption de violence devenait presque inévitable.

Les sycophantes jouent un rôle clé dans cette dynamique en rationalisant le pouvoir du tyran. En exprimant des arguments légaux pour justifier ses actions ou en attisant les émotions de la foule pour nourrir son désir de pouvoir, ils contribuent à légitimer la violence. Giuliani, par exemple, a propagé l'idée d'une élection volée, tandis que Trump, en parlant de la nécessité de "reprendre le pays", a créé un terrain propice à l’émergence d'une rébellion.

Cependant, comme le montre l'histoire, une tyrannie complète n'est pas toujours couronnée de succès. Les États-Unis, grâce à leur système de séparation des pouvoirs, ont pu éviter une consolidation totale de ce pouvoir tyrannique. Ce n'est pas un hasard si, dans la tradition politique occidentale, des penseurs comme Platon ont mis en garde contre de tels dangers. Platon, en particulier dans La République, nous enseigne que la tyrannie naît lorsque les masses, aveugles à la réalité, sont manipulées par un démagogue sans scrupules. Le tyran s'appuie sur le soutien des masses ignorantes, qu'il flatte et manipule pour assouvir sa volonté criminelle.

Dans ses œuvres, Platon critique sévèrement les tyrans, les sycophantes et les masses. Il appelle ces dernières des « foules hétéroclites », des « masses ignorantes » et même la « grande bête ». Son œuvre s'attaque également aux sophistes, ces personnages qui flattent le tyran et excitent la foule. Pour Platon, ces phénomènes ne sont pas seulement un problème moral, mais un problème philosophique : la tyrannie représente un échec du raisonnement et de la vertu. Platon lui-même a été emprisonné par le tyran de Syracuse et son maître Socrate a été exécuté à cause des intrigues de sophistes et de courtisans qui ont convaincu les masses que Socrate était un ennemi de l'État.

Cette critique des tyrans et des sycophantes ne se limite pas à l’Antiquité. Les mécanismes de pouvoir décrits par Platon sont toujours présents aujourd’hui. La démocratie moderne, en particulier, n'est pas à l'abri de ces dérives. Le tyran moderne, soutenu par des sycophantes et des masses manipulées, peut émerger dans des systèmes démocratiques si les citoyens ne sont pas vigilants et ne sont pas éduqués sur les dangers d'une telle dynamique. L'histoire nous montre que la tyrannie ne se manifeste pas seulement par des coups d'État militaires ou des dictatures ouvertes, mais peut également se déguiser en mouvements populaires où les masses, aveuglées par des discours émotionnels et des promesses de grandeur, se laissent entraîner dans des actions violentes et irrationnelles.

Il est impératif de comprendre que ce phénomène de tyrannie n'est pas un fait isolé, mais un problème récurrent dans l'histoire des sociétés humaines. Pour éviter qu'il ne se reproduise, il est nécessaire de renforcer l'éducation civique, d'encourager la réflexion critique et de maintenir un système juridique robuste, capable de résister aux tentatives d'érosion de l'État de droit. La leçon que nous pouvons tirer de l'analyse de la tyrannie, tant dans les sociétés antiques que modernes, est que la vigilance, la sagesse et la vertu sont les armes les plus efficaces contre les dangers du pouvoir débridé et des manipulations populistes.

La complicité du flatteur : entre tyrannie et manipulation sociale

Le sycophante, cette figure ambiguë et souvent condamnée, incarne un phénomène complexe qui va bien au-delà de la simple flatterie ou de la manipulation personnelle. Dans un contexte politique, par exemple, on pourrait considérer que le sycophante est en quelque sorte responsable de l’ascension du tyran. Cependant, une telle affirmation reste trop simpliste, voire inexacte. On peut accuser un sycophante sans pour autant justifier une punition. Cette approche neutre, qui évite de se focaliser sur des questions de responsabilité individuelle, trouve des échos dans des enjeux contemporains comme les injustices structurelles, le racisme institutionnel ou la violence systémique. En effet, au lieu de se concentrer uniquement sur les actions de l’individu, il s’agit ici de considérer le rôle du système qui permet à ces dynamiques de prospérer. C'est le système, dans son ensemble, qui engendre des problèmes sociaux et politiques d'envergure, bien plus que l'acte isolé d'un agent.

Ce point de vue structurel suggère que le sycophante n’est pas intrinsèquement coupable. En réalité, il est victime des circonstances, agissant en fonction des normes, des coutumes et des traditions d'un système social donné. L'opportunisme, après tout, repose sur les opportunités qui se présentent. Cependant, cette interprétation est trop simpliste lorsqu'il s'agit de la flatterie politique. Le sycophante bénéficie effectivement du système de pouvoir dans lequel il évolue. Plus haut il est dans la hiérarchie politique, plus il est probable qu'il sache exactement ce qu'il fait et qu'il en tire profit. Le sycophante, grâce à sa position, a même une responsabilité particulière : éviter la complicité. Dans une tyrannie, le tyran recrute souvent des sycophantes pour le servir. Mais dans une démocratie représentative, comme celle des États-Unis, les responsables politiques prêtent serment à la Constitution, un engagement qui les oblige à respecter l'État de droit et à servir le bien commun. Dès lors, le sycophante, qui se complaît dans la flatterie de l’autorité, devient un déserteur de son devoir, comme l'a souligné le sénateur McConnell à propos de Trump. Cette défaillance est d’autant plus choquante et abominable dans un contexte démocratique.

Dans la tradition philosophique, en particulier chez Platon, la sycophantisme est étroitement lié à la sophistique. Le sophiste, tel que Platon le décrit dans La République, flatte la foule, cherchant à plaire plutôt qu'à dire la vérité. Socrate lui-même fut accusé de sophisme et de sycophantisme. Mais cette accusation, portée par ses détracteurs, retournait la situation : ceux qui accusaient Socrate étaient en réalité les sophistes et les sycophantes, manipulant l'opinion publique à leur avantage. Ainsi, le sycophante politique est doublement auditeur : il flatte son supérieur, le tyran, mais il joue également un rôle en flattant la foule. Le flatterie, dans ce cas, n’est pas simplement une recherche de vérité mais une quête de pouvoir et d'influence. Les flatteries des tyrans ou des masses sont souvent détachées de la vérité objective ; elles visent à confirmer et à renforcer l’image du pouvoir en place, qu’il s’agisse de l’image du tyran ou de celle des désirs collectifs.

Cette idée de flatterie rappelle l’analyse de Plutarque dans son essai Comment distinguer un flatteur d’un ami. Le flatteur, selon lui, donne l’illusion de l'amitié mais ne cherche en réalité qu'à satisfaire ses propres intérêts. Un véritable ami est celui qui, avec sincérité et compassion, nous aide à devenir de meilleures personnes en nous offrant des critiques constructives. Le flatteur, en revanche, est déloyal : il se plie aux désirs de l’autre sans se soucier de la vérité ou de l'intégrité. Il manipule les émotions et les désirs de ses victimes, les conduisant dans une spirale d'illusion et de tromperie.

La flatterie, bien que souvent perçue comme un mal mineur, prend une autre dimension lorsqu’elle est utilisée pour manipuler les masses ou les puissants. Elle devient alors un outil de pouvoir, utilisé par les sycophantes pour servir des intérêts personnels au détriment du bien commun. Ce n’est pas un simple jeu de mots ou un geste anodin ; c’est une tactique calculée et dangereuse. Plutarque le souligne en disant que "plaire à la foule, c’est déplaire aux sages". Les flatteurs qui cherchent à séduire le "vulgaire" risquent de déstabiliser non seulement la communauté mais aussi eux-mêmes. Ils se laissent emporter par leurs désirs de plaisir immédiat, parlant sans réfléchir, souvent de manière vulgaire et théâtrale, dans un élan de communication sans profondeur.

Dans l'arène politique moderne, le sycophante devient une sorte de comédien : il gesticule, il exagère, il suscite l’adhésion par des moyens purement performatifs. Son discours, dénué de réflexion et de contenu, fait écho à celui des médias populaires ou des personnalités publiques qui, à force de vouloir plaire, perdent toute authenticité. La flatterie excessive, loin de servir la vérité, devient un outil de manipulation efficace, à la fois pour les tyrans et pour les foules.

Il convient donc de se rappeler que si la flatterie peut être utile, comme dans le cadre d’une relation amoureuse ou parentale où elle sert à affirmer des liens affectifs, elle prend une tournure néfaste lorsqu’elle devient un instrument de manipulation dans les sphères du pouvoir. Le sycophante sait qu’il ment et manipule délibérément son interlocuteur, qu’il s’agisse du tyran ou de la foule. Cette distinction est cruciale : la flatterie n’est pas intrinsèquement mauvaise, mais son utilisation stratégique dans la politique et la gestion du pouvoir transforme le sycophante en un personnage dangereux, un acteur des manipulations sociales et politiques qui peuvent éroder les fondements de la démocratie et du bien commun.