L'éducation publique, selon Rousseau, est une pierre angulaire d'un gouvernement légitime et démocratique. Dans un monde moderne, elle devrait être fondée sur le principe d'égalité. Rousseau défend l'idée qu'une éducation collective et égalitaire permettra de forger des citoyens capables de respecter les lois et de défendre les intérêts de la société. En inculquant aux jeunes les principes du bien commun et de la volonté générale, l'éducation ne se limite pas à former des individus obéissants, mais vise à leur donner la capacité de comprendre et d'apprécier les fondements de leur société. C'est ainsi qu'ils deviendront les défenseurs de la nation, non seulement comme citoyens, mais aussi comme penseurs et réformateurs.

Cette vision de l'éducation a été reprise et approfondie par des penseurs et réformateurs progressistes. Immanuel Kant, par exemple, soulignait le lien entre l'éducation et la raison nécessaire à la vie républicaine. Pour lui, l'illumination individuelle à travers l'éducation est essentielle à la construction d'un espace public rationnel et éclairé. De même, des figures importantes de la Révolution américaine comme Thomas Jefferson et Benjamin Franklin reconnaissaient l'importance d'une éducation qui favorise non seulement la conformité, mais surtout la pensée critique et la liberté individuelle.

Le rôle de l'éducation dans la promotion de l'égalité a également été défendu par des féministes comme Catharine Macaulay et Mary Wollstonecraft. Dans ses "Pensées sur l'éducation des filles" (1787), Wollstonecraft dénonce l’éducation des femmes comme étant fondée sur la soumission et l’obéissance, la réduisant à un état de "servitude abjecte". Selon elle, l'éducation des femmes ne devrait pas seulement viser à les rendre obéissantes, mais aussi philosophiques et actives dans leur rôle de citoyennes. Elle plaide pour une éducation moins tyrannique, fondée sur la vertu publique et la coopération sociale.

La critique de l'éducation obéissante et soumise se poursuit dans l'œuvre de Macaulay, qui soutient que l'éducation d’un citoyen ne peut se limiter à l’obéissance aux lois de l'État. Elle doit également cultiver la "sagesse active", nécessaire à la participation à la réforme et à l’amélioration de la société. Cette notion d'éducation philosophique, orientée vers la réflexion et la compréhension des principes de la société, est une réponse directe à l’idéologie de soumission aveugle.

L'évolution de ces idées se poursuit au XXe siècle avec des théoriciens comme John Dewey, Paulo Freire et Nel Noddings, qui ont vu dans l'éducation un moyen essentiel de cultiver la capacité de résistance face à l’injustice et à la tyrannie. Dewey, dans Démocratie et éducation, critique les modèles éducatifs anciens, notamment celui de la Grèce antique et de l’Allemagne du XIXe siècle, qui privilégient respectivement la séparation du philosophe citoyen et l’obéissance au service de l’État. Il propose une éducation pour la démocratie qui ne consiste pas simplement à produire des citoyens obéissants, mais des citoyens engagés, capables de réflexion critique et de participation active à la vie sociale et politique.

L’idée de l'éducation comme libération et développement de l'autonomie critique se trouve également au cœur des travaux de Freire. Sa pédagogie libératrice rejette l’éducation comme simple endoctrinement et défend la nécessité de développer chez les élèves une capacité de réflexion autonome et de curiosité. Pour Freire, l’éducation démocratique vise à éveiller la conscience critique des apprenants et à leur permettre de prendre en main leur destin, de résister à l’injustice et de participer activement à la transformation sociale.

Nel Noddings, quant à elle, s'inscrit dans cette même lignée de pensée, en mettant l’accent sur la notion de "care" (soin) dans l'éducation. Selon elle, l'éducation ne doit pas seulement enseigner la conformité aux normes sociales, mais doit aussi permettre aux individus de développer des compétences démocratiques telles que la délibération et le respect des différences. Noddings est particulièrement attentive à la manière dont l’éducation peut encourager ou freiner la polarisation sociale et culturelle, soulignant la nécessité de former des citoyens capables de naviguer dans un monde de plus en plus fragmenté.

L’éducation démocratique, loin de se limiter à un simple apprentissage des règles sociales et politiques, doit permettre de développer des citoyens philosophes, capables de comprendre les principes sous-jacents de la société, d’agir de manière réfléchie et d’interroger les structures de pouvoir et d'autorité. Ce type d'éducation, orientée vers la critique et l’autonomie, est indispensable pour éviter les dérives tyranniques et préserver les fondements d'une société libre et juste.

Comment cultiver une citoyenneté démocratique vigilante dans un monde moderne ?

Les principes démocratiques formels sont souvent insuffisants pour maintenir une société libre et juste. Il ne suffit pas de voter pour garantir une démocratie vivante; il est tout aussi crucial de cultiver les vertus, les habitudes et les dispositions fondamentales d'un citoyen démocratique. Ces qualités ne se limitent pas à l'engagement politique, mais s'étendent à une approche plus large de la citoyenneté, qui inclut un respect profond pour l'autre et une responsabilité partagée. C’est ce que souligne Noddings dans son approche de l'éthique féministe de la sollicitude et dans sa réflexion sur une pédagogie mondialement consciente. Selon elle, l’éducation doit non seulement promouvoir l’autonomie individuelle, mais aussi encourager une connexion sincère avec les autres, tant au niveau local qu’international.

Dans cette perspective, une éducation véritablement démocratique doit aller au-delà de la simple transmission de connaissances et se concentrer sur la formation de citoyens capables de pensée critique, de patriotisme réfléchi et de citoyenneté philosophique. Cette éducation doit également encourager une vigilance constante face aux dangers de la manipulation, de l’ignorance et de la tyrannie, tout en cultivant le respect et la responsabilité envers les autres. L’idée n’est pas seulement de se protéger des tyrans et des manipulations, mais de participer activement à la construction d’une société plus juste et plus éclairée. Les citoyens doivent être préparés à remettre en question les idées dominantes, à refuser l’apathie et à dénoncer la corruption, tout en promouvant une culture de l’honnêteté et de la transparence.

Cependant, il existe une barrière importante : de nombreuses personnes ne cherchent pas à s’éduquer, à devenir vertueuses, vigilantes ou sages. Cette réalité n'est pas nouvelle et remonte à la pensée de Platon, qui soulignait que l'ignorant n'avait pas le désir de devenir sage. Aujourd'hui, cette problématique est amplifiée par des forces sociales et technologiques qui rendent la tâche plus complexe. L'omniprésence de la stupidité, de la vulgarité et de la violence dans la culture populaire, ainsi que l'usage des médias sociaux pour amplifier ces tendances négatives, compliquent encore l'éducation des citoyens. Ce phénomène est exacerbé par l'accès illimité à des contenus violents, racistes et sexistes à travers des plateformes numériques. Ces dynamiques créent un environnement où l'ignorance se propage facilement, et où les tyrans et les sycophantes manipulent l’opinion publique avec des fausses vérités.

Les médias sociaux, loin d'être un mal en soi, peuvent aussi être des instruments puissants pour encourager la sagesse et la responsabilité. À titre d’exemple, l’affaire de la vidéo "Access Hollywood" de Donald Trump montre comment les technologies modernes peuvent exposer la corruption et l’hypocrisie des figures publiques. Cette vidéo, qui révélait des propos misogynes de Trump, est un exemple frappant de la manière dont la technologie permet à la vérité de se diffuser rapidement, rendant plus difficile pour les tyrans de cacher leurs actions. Toutefois, malgré la diffusion de cette information, une grande partie de la population n’a pas jugé ces propos suffisamment graves pour les disqualifier de la politique. Cette indifférence de la part des masses met en évidence un problème persistant : l'incapacité de certains citoyens à reconnaître la gravité des actions immorales de leurs dirigeants.

Il est donc impératif que nous poursuivions nos efforts pour promouvoir une éducation civique fondée sur la sagesse et la vertu, mais aussi que nous exploitons de manière responsable les technologies modernes pour diffuser la vérité et la responsabilité. La vigilance est essentielle, et les citoyens doivent apprendre à discerner les manipulations et à rejeter les fausses informations. La tâche de l’éducation morale et civique est un travail de longue haleine, qui ne peut être imposé, mais doit être librement choisi. Les nouvelles technologies, bien utilisées, peuvent jouer un rôle crucial dans cette mission.

Le défi réside dans la capacité des citoyens à rester engagés dans ce processus éducatif tout au long de leur vie, même après leur passage à l'âge adulte. Trop souvent, les individus renoncent à la pensée critique, se laissent séduire par des théories complotistes ou soutiennent des tyrans par opportunisme. La tâche de maintenir une démocratie saine est donc toujours en cours, et les défis qui se présentent aux citoyens sont multiples et constants. Cependant, l'espoir réside dans le fait que l’éducation et la vigilance, nourries par une sagesse partagée, peuvent offrir une alternative aux tyrans, aux sycophantes et à l’ignorance généralisée.

La démocratie repose non seulement sur des structures juridiques solides, comme le montre la Constitution des États-Unis, mais aussi sur des citoyens prêts à défendre activement la liberté et la justice, à s'opposer à l'absurdité et à la corruption, et à promouvoir des valeurs universelles de dignité humaine. Si l’histoire nous enseigne quelque chose, c’est que nous avons la possibilité de corriger nos erreurs, de résister aux courants de cynisme et de corruption, et de bâtir une société où la vigilance et la responsabilité sont des valeurs fondamentales partagées par tous.