Dans les thérapies de groupe, il n'est pas rare que les participants se perdent dans le processus lui-même, sans jamais toucher aux aspects réellement importants du contenu. Cette tendance à se concentrer sur le processus peut parfois freiner une avancée significative. Toutefois, en étant capables de revenir à ce contenu, les thérapeutes peuvent moduler la profondeur de l'exploration tout en permettant une gestion plus efficace des sujets sensibles. Il est donc essentiel de savoir naviguer entre l'examen du contenu d'une pensée et l'analyse de son processus.

Prenons l'exemple d’un client qui déclare : « Je ne vais pas réussir à faire ça. » Au lieu de réagir directement à cette affirmation, le thérapeute pourrait répondre : « D'accord, vous remarquez cette pensée qui dit que vous n'allez pas réussir. Seriez-vous prêt à continuer malgré cette pensée ? » Cette réponse permet de détourner l'attention du contenu spécifique de la pensée, tout en restant centré sur l'action qui pourrait être bénéfique pour le client. Plutôt que d'entrer dans un débat sur les preuves et les faits, le thérapeute invite le client à interroger l'impact de ses pensées et à agir malgré elles. Une telle approche change radicalement la dynamique de l’échange. Il est courant que les clients cherchent à argumenter contre les contenus de leurs pensées ; leur résistance face à un simple encouragement peut souvent provenir de leur besoin de combattre chaque idée qui émerge de leur esprit.

Lorsqu'une personne souffre d'anxiété, il devient difficile, voire impossible, de raisonner avec elle. Les pensées anxieuses se multiplient, chacune nourrissant la précédente. Au lieu de se lancer dans une argumentation enflammée, il est plus efficace de renoncer à combattre ces pensées sur leur terrain. Par exemple, si un client se sent comme une mauvaise personne, un thérapeute pourrait répondre : « Ah, voilà que Monsieur l'Anxiété refait surface. » Cela permet de créer une distance entre le client et la pensée anxieuse, en la personifiant ou en lui attribuant un surnom, ce qui aide à éviter l’implication émotionnelle immédiate et la lutte directe contre elle. Un autre exemple pourrait être d’appeler cette pensée négative « Radio Apocalyptique », une métaphore qui permet de distancier le client de son ressenti immédiat, l’incitant à réfléchir : « Quand vous écoutez ‘Radio Apocalyptique’, comment cela améliore-t-il votre vie ? » Ce décalage peut provoquer une prise de conscience chez le client, qui pourrait se rendre compte que se laisser submerger par ces pensées ne fait qu’aggraver son isolement ou son mal-être.

Il est important de rappeler que le cerveau humain est une véritable « machine à donner des raisons ». Il est conçu pour produire des justifications, et parfois ces justifications sont utiles, mais souvent elles ne le sont pas. Accepter cette réalité permet d’être plus doux envers soi-même et de répondre aux pensées anxieuses avec compassion. Une réponse appropriée pourrait être : « Merci, cerveau, pour tes conseils. Je sais que tu essaies de m'aider, mais je vais quand même avancer vers ce qui est important pour moi. » Cette reconnaissance ne consiste pas à rejeter ou à ignorer les pensées, mais à reconnaître qu’elles ne définissent pas notre réalité. Elles sont présentes, mais ne doivent pas dicter nos actions.

Le cerveau est également une « usine à jugements », produisant constamment des comparaisons et des évaluations. Cette fonction cognitive est primordiale dans notre vie quotidienne : elle nous aide à résoudre des problèmes, à prendre des décisions et à anticiper des risques. Cependant, elle peut aussi nous éloigner de l'expérience présente. Trop souvent, nos jugements nous empêchent de vivre pleinement le moment, car notre attention est captée par ces évaluations. Il n’est pas nécessaire d’essayer de les supprimer, car ces jugements continueront d’apparaître, mais il est possible de les laisser passer sans y accorder trop d'importance.

Plutôt que de lutter contre ces jugements ou de les ignorer, une approche plus efficace consiste à les observer avec détachement. Une image puissante pour décrire cette approche est celle de Siddhartha Gautama, qui pose la question suivante : « Si quelqu'un vous offre un plateau de saleté et que vous ne l'acceptez pas, qui est celui qui reste à le tenir ? » De même, il est inutile de lutter contre les jugements. Se battre contre eux ne fait que les renforcer, tout comme essayer de repousser un plateau de saleté qui, en fin de compte, risquerait de nous éclabousser. La véritable liberté réside dans la capacité à accepter leur présence sans se laisser envahir par elles.

Le processus de défusion consiste à ne pas se laisser entraîner dans la lutte contre les pensées anxieuses ou les jugements. Plutôt que de se laisser happer par le contenu de la pensée (par exemple, « Je suis un échec »), il s’agit d’observer le processus de pensée lui-même. Ce processus aide les clients à se détacher de leurs pensées et à réduire leur pouvoir sur leurs émotions et comportements. Plus un individu devient conscient de ces jugements, moins ils ont de pouvoir sur lui. Cette pratique demande du temps, mais avec le temps, les jugements perdront leur emprise. Il est comme regarder un film d'horreur plusieurs fois : au début, il peut être effrayant, mais au fil du temps, il perd son impact émotionnel.

Au final, il est crucial de comprendre que les jugements, bien qu'ils puissent être perturbants, ne sont ni des ennemis à combattre ni des vérités à accepter aveuglément. Ils sont simplement le produit de notre cerveau en action. Ce qui compte véritablement, c'est la façon dont nous choisissons de réagir face à ces jugements. Combien de fois avons-nous laissé des jugements non pertinents nous empêcher de vivre pleinement? Il est temps de redéfinir la manière dont nous interagissons avec nos pensées et de leur accorder moins de pouvoir sur nos vies.

La pleine conscience versus la méditation : quelles différences et comment les appliquer ?

Le terme « méditation » porte souvent une connotation complexe et variée selon les individus, et peut signifier beaucoup de choses différentes. En réalité, la méditation est un concept très large qui englobe une multitude de méthodes pour travailler avec l’esprit. Il existe littéralement des milliers de types de méditation. La pleine conscience, en revanche, est un type très spécifique de méditation qui se concentre sur le fait d’être pleinement attentif au moment présent. Si certaines personnes trouvent utile de pratiquer des exercices formels de pleine conscience, tous les clients ne seront pas nécessairement réceptifs aux techniques qui ressemblent à de la méditation. En effet, Russ Harris (2009) a écrit un article intitulé « La pleine conscience sans méditation ». Pour certains, il peut être même pertinent de ne pas utiliser le terme « pleine conscience ». L’essentiel est d’aider à cultiver la capacité à être attentif à l’instant présent.

Un des moyens de favoriser la pleine conscience consiste à adopter un style de conversation délibéré : « Quelles pensées apparaissent maintenant ? » « Comment vous sentez-vous à cet instant ? » « Ressentez-vous des sensations dans votre corps ? » Ce type de dialogue peut être particulièrement utile pour encourager une attention consciente à ce qui se passe dans le moment.

Par ailleurs, l’exercice simple d’une respiration consciente peut être un excellent moyen d’ancrer la pleine conscience. Parfois, en raison de l'anxiété ou du stress, nous oublions littéralement de respirer, emportés par nos pensées et nos préoccupations. Pourtant, la réponse au stress est physiologiquement liée à la respiration : lorsque nous sommes stressés, nous respirons plus rapidement et plus superficiellement, ce qui envoie à notre cerveau un signal de danger, le préparant à réagir en mode « combat, fuite ou paralysie ». Le simple fait de prendre une respiration profonde, provenant du ventre, suffit à modifier cette réponse de stress et à améliorer la chimie de notre cerveau. Peu importe à quel point la journée est remplie, on peut toujours prendre un instant pour respirer profondément.

Un exemple marquant d’une approche pragmatique dans la gestion du stress vient d’un atelier auquel j'ai assisté, centré sur la respiration. À la fin de cet atelier, l'instructeur, Stephen K. Hayes, a donné comme devoir à chaque participant : « Respirez six fois par jour ». Bien que ce nombre paraisse anodin et ironique, il illustre un point essentiel : l’important n’est pas la fréquence, mais l’intention consciente de s’arrêter et de respirer profondément. Cela permet de réinitialiser momentanément notre système et de créer une petite transition physiologique bénéfique. En fait, cet exercice simple pourrait faire une différence significative dans une journée pleine de distractions et de pression.

Un autre exemple montre bien l’effet de la prise de conscience du stress : dans une étude menée sur des patients épileptiques, les chercheurs ont observé que simplement prendre un instant pour s’évaluer, et prendre conscience de leur niveau de stress avant même d’essayer une technique de réduction de stress, a permis de diminuer ce stress de manière significative. Ce processus d’observation, ce simple fait de « faire une pause » et de se connecter à son état intérieur a déjà un impact sur l’atténuation du stress.

En fait, il est souvent difficile de se souvenir de faire une pause en raison de notre rythme de vie effréné. Cependant, il existe des moyens simples de lier ce geste à des éléments de notre quotidien : par exemple, une étudiante a utilisé une application de son téléphone pour lui rappeler de prendre une pause. Elle a programmé des rappels à des moments aléatoires de la journée, ce qui lui permettait de respirer profondément et de revenir à l’instant présent. Elle trouvait cela tellement utile qu’elle attendait avec impatience que la sonnerie retentisse, un petit rappel pour se recentrer. Cet exercice simple peut être répété dès que nous entendons un bruit particulier, comme le chant d’un oiseau ou une alerte sur notre téléphone. L'objectif est de ramener notre attention sur l’instant présent, permettant ainsi une série de petites transformations dans notre journée.

Cependant, il est également possible que certaines personnes préfèrent des exercices plus structurés de pleine conscience, à pratiquer entre les sessions de consultation. Parmi ces exercices, celui du « trois minutes de respiration » est particulièrement apprécié. Il provient du programme de thérapie cognitive basée sur la pleine conscience (Mindfulness-Based Cognitive Therapy, ou MBCT) et, bien qu'il ne dure que trois minutes, il est assez puissant pour développer la conscience de soi. L’avantage de cet exercice réside dans sa simplicité : sa durée courte le rend moins intimidant et plus facile à intégrer dans le quotidien. De plus, bien que bref, il contient des éléments clés qui permettent de cultiver une pleine attention.

Lors de l'exécution de cet exercice, la première minute consiste à prendre contact avec soi-même. En effet, trop souvent, nous nous focalisons sur d’autres moments, d’autres lieux, ou d’autres personnes. Le but ici est de s’arrêter, de prendre un instant pour remarquer ce qui est présent, sans avoir besoin d’analyser ou de résoudre quoi que ce soit. Ensuite, l’exercice invite à observer les sensations corporelles, d’abord en haut du corps, puis en descendant jusqu'aux pieds. Cela permet de prendre conscience des tensions, des douleurs ou des inconforts, tout en restant simplement dans l’observation.

Le deuxième aspect de cet exercice est d’évaluer son état émotionnel. Comment nous sentons-nous à cet instant précis ? Être attentif à ce que nous ressentons, sans chercher à éviter ces émotions, peut avoir un impact profond sur notre capacité à gérer nos réactions face aux situations de la vie.

L’une des erreurs fréquentes dans notre gestion de l’anxiété ou du stress est de croire que nous devons constamment changer notre état émotionnel. Or, la véritable prise de conscience réside souvent dans l’acceptation et l’observation de ce que nous vivons, sans jugement. Au final, la méditation et la pleine conscience ne consistent pas uniquement à rechercher la tranquillité intérieure, mais à apprendre à vivre pleinement chaque instant, avec tous ses hauts et ses bas.