Dans le cadre du modèle binomial de Cox-Ross-Rubinstein (CRR), l’arbitrage est exclu si et seulement si les taux de rendement satisfont la condition a<r<ba < r < b. Cette inégalité garantit l’existence d’une mesure de probabilité PP^*, appelée mesure martingale équivalente, qui est absolument continue par rapport à la mesure objective PP et sous laquelle le processus des prix actualisés est un martingale. Sous PP^*, les variables aléatoires représentant les mouvements du prix du sous-jacent sont indépendantes et identiquement distribuées, avec une probabilité pp^* de montée, donnée explicitement par les paramètres du modèle. Cette construction est fondamentale, car elle permet de définir un cadre sans arbitrage dans lequel la valorisation des produits dérivés devient possible.

Le prix d’un produit dérivé contingent, défini par une fonction de paiement H=h(S0,,ST)H = h(S_0, \ldots, S_T), peut alors être exprimé comme une espérance conditionnelle sous PP^*. Plus précisément, le processus de valeur VtV_t associé à une stratégie réplicante s’écrit Vt=E[HFt]V_t = \mathbb{E}^*[H \mid \mathcal{F}_t], où Ft\mathcal{F}_t représente l’information disponible jusqu’au temps tt. Cette espérance conditionnelle peut être calculée de manière récursive via la relation Vt=E[Vt+1Ft]V_t = \mathbb{E}^*[V_{t+1} \mid \mathcal{F}_t], en posant VT=HV_T = H. Cette propriété permet d’établir une fonction υt\upsilon_t telle que Vt(ω)=υt(S0,,St(ω))V_t(\omega) = \upsilon_t(S_0, \ldots, S_t(\omega)), laquelle encode l’évolution de la valeur du produit selon l’historique des prix.

Dans le cas particulier où le paiement dépend uniquement du prix terminal STS_T, la valeur à tout instant tt dépend uniquement de StS_t, ce qui simplifie considérablement les calculs. La fonction υt\upsilon_t se réduit alors à une espérance par rapport à une distribution binomiale avec paramètre pp^*. Cette simplification conduit à des formules explicites pour les prix sans arbitrage d’options européennes, comme les calls et puts, dont les payoffs sont respectivement (STK)+(S_T - K)^+ et (KST)+(K - S_T)^+ actualisés au taux sans risque.

Pour les produits plus complexes, dits exotiques, tels que les options à barrière ou les lookbacks, la valeur dépend souvent non seulement du prix actuel mais aussi de la trajectoire passée, par exemple le maximum ou le minimum historique du prix. La théorie s’adapte en introduisant des processus auxiliaires, tels que le maximum courant MtM_t, et en utilisant des propriétés comme l’indépendance des incréments et des mécanismes de réflexion symétrique pour obtenir des formules explicites ou des méthodes numériques efficaces.

La stratégie de couverture associée à un produit dérivé est définie par un portefeuille dynamique ξt\xi_t qui réplique exactement le paiement HH à l’échéance. Dans le modèle CRR, cette stratégie peut être explicitée en termes des différences finies de la fonction valeur υt\upsilon_t par rapport aux variations possibles du prix du sous-jacent, ce que l’on appelle la « Delta » discrète. Cette « Delta » est le rapport des variations de la valeur du portefeuille aux variations du prix de l’actif sous-jacent, pondérée par le facteur d’actualisation, et représente la sensibilité du prix de l’option aux mouvements du sous-jacent. Notamment, pour des options avec payoff croissant en STS_T, la stratégie de couverture n’exige pas de positions courtes sur l’actif risqué, ce qui a des implications importantes en termes de risque et de gestion pratique.

Le modèle binomial ainsi décrit est donc un cadre mathématique complet pour l’évaluation et la couverture des produits dérivés en absence d’arbitrage. Son efficacité repose sur la construction rigoureuse de la mesure martingale équivalente et sur la compréhension précise de la dynamique des prix et des stratégies réplicantes.

Au-delà de cette formalisation, il est crucial de comprendre que la mesure martingale équivalente ne dépend pas du choix initial de la mesure objective PP, tant que cette dernière satisfait certaines conditions. Cela signifie que la valorisation des options dans ce modèle est intrinsèquement liée à la structure probabiliste imposée par l’absence d’arbitrage, plutôt qu’à des croyances subjectives sur l’évolution future des prix.

De plus, le modèle CRR offre un pont entre la théorie discrète et les modèles continus comme Black-Scholes, notamment lorsque le nombre de périodes TT tend vers l’infini avec des pas de temps de plus en plus petits. Cette convergence permet de mieux comprendre les liens entre différentes approches de la finance quantitative.

Il importe également de souligner que la modélisation repose sur plusieurs hypothèses simplificatrices, telles que la constance des taux d’intérêt et l’absence de coûts de transaction ou d’imperfections du marché. Ces conditions idéalisées doivent être interprétées avec précaution lors d’applications pratiques, et des ajustements peuvent être nécessaires pour rendre le modèle plus réaliste.

Enfin, la théorie et les outils présentés ici servent de fondement à l’analyse de produits dérivés plus complexes et à la construction de stratégies financières sophistiquées. Leur maîtrise est essentielle pour appréhender les enjeux contemporains de la gestion des risques et de la valorisation dans les marchés financiers modernes.

Comment la convergence des modèles discrets conduit-elle à la formule de Black-Scholes ?

Dans un modèle de marché discret, le calcul des prix en termes de mesures de martingale peut devenir assez complexe. Cependant, on peut espérer que les formules de prix dans le temps discret convergent vers une limite transparente à mesure que le nombre de périodes de négociation intermédiaires augmente. Nous allons examiner les conditions dans lesquelles une telle convergence se produit.

Considérons un intervalle de temps [0,T][0, T] divisé en NN pas de temps équidistants : TN,2TN,,NTNT_N, 2T_N, \ldots, NT_N, où le kk-ième instant kTNkT_N correspond à la kk-ème période de négociation d'un modèle de marché sans arbitrage. Pour simplifier les choses, nous supposons que chaque modèle de marché contient une obligation sans risque et un seul actif risqué. Dans l'approximation de NN-ième ordre, l'actif risqué est noté S(N)S(N), et l'obligation sans risque est définie par un taux d'intérêt constant rN>1r_N > -1. La question qui se pose est de savoir si les prix des créances conditionnelles dans les modèles de marché approximants convergent lorsque NN tend vers l'infini.

Il est important de noter que, puisque les valeurs terminales des obligations sans risque doivent converger, nous supposons que limN(1+rN)N=erT\lim_{N \to \infty} (1 + r_N)^{N} = e^{rT}, où rr est une constante finie. En prenant le logarithme des deux côtés, on voit que cette condition est équivalente à :

limNrN=rT.\lim_{N \to \infty} r_N = r_T.

Passons maintenant aux actifs risqués. Nous supposons que les prix initiaux S(N)0S(N)_0 ne dépendent pas de NN, c'est-à-dire S(N)0=S0S(N)_0 = S_0 pour une constante S0>0S_0 > 0. Les prix S(N)kS(N)_k sont des variables aléatoires sur un espace de probabilité (ΩN,FN,PN)(\Omega_N, F_N, P^*_N), où PNP^*_N est une mesure risk-neutral pour chaque modèle de marché approximant. Le processus de prix actualisés X(N)k=S(N)k(1+rN)kX(N)_k = \frac{S(N)_k}{(1 + r_N)^k} est une martingale par rapport à la filtration F(N)k=σ(S(N)0,,S(N)k)F(N)_k = \sigma(S(N)_0, \ldots, S(N)_k).

Nous formulons des conditions sur les rendements R(N)k=S(N)kS(N)k1S(N)k1R(N)_k = \frac{S(N)_k - S(N)_{k-1}}{S(N)_{k-1}}. Tout d'abord, nous supposons que, pour chaque NN, les variables aléatoires R(N)1,,R(N)NR(N)_1, \ldots, R(N)_N sont indépendantes sous PNP^*_N et satisfont à la condition :

αNR(N)kβNpour des constanteslimNαN=limNβN=0.\alpha_N \leq R(N)_k \leq \beta_N \quad \text{pour des constantes} \quad \lim_{N \to \infty} \alpha_N = \lim_{N \to \infty} \beta_N = 0.

De plus, nous supposons que les variances varN(R(N)k)\text{var}_N(R(N)_k) sous PNP^*_N sont telles que :

1Nk=1NvarN(R(N)k)σ2(0,).\frac{1}{N} \sum_{k=1}^N \text{var}_N(R(N)_k) \to \sigma^2 \in (0, \infty).

Sous ces hypothèses, un résultat semblable au théorème central limite multiplicatif peut être établi. Le théorème 5.54 énonce que, sous ces conditions, les distributions de S(N)NS(N)_N sous PNP^*_N convergent faiblement vers la distribution log-normale avec les paramètres :

logS0+rT12σ2TetσT.\log S_0 + rT - \frac{1}{2} \sigma^2 T \quad \text{et} \quad \sigma \sqrt{T}.

Autrement dit, les prix des actifs risqués S(N)NS(N)_N convergent en distribution vers ST:=S0exp(σWT+(r12σ2)T)S_T := S_0 \exp(\sigma W_T + (r - \frac{1}{2} \sigma^2) T), où WTW_T est une variable aléatoire normale centrée N(0,T)N(0, T) avec variance TT.

Il convient de souligner que cette convergence est une conséquence directe du théorème central limite appliqué aux rendements R(N)kR(N)_k, et elle montre que, à mesure que NN \to \infty, les modèles discrets approximants convergent vers un modèle continu. Ce modèle continu est décrit par la formule de Black-Scholes, qui est un modèle de prix d'option bien connu dans la théorie des marchés financiers.

En effet, si l'on définit une dérivée en fonction de la valeur terminale de l'actif risqué, cela correspond dans chaque modèle approximant à une créance conditionnelle C(N)=f(S(N)N)C(N) = f(S(N)_N), où ff est une fonction, souvent utilisée pour les options européennes. Si ff est une fonction continue et bornée, les prix arbitrage-free de C(N)C(N), calculés sous la mesure PNP^*_N, convergent vers une espérance actualisée avec respect à une distribution log-normale, ce qui conduit à la formule de Black-Scholes.

En particulier, cela est vrai pour la fonction de paiement d'une option de vente européenne, qui peut être exprimée par f(x)=(Kx)+f(x) = (K - x)^+, où KK est le prix d'exercice de l'option. La parité put-call se maintient dans la limite lorsque NN \to \infty, ce qui assure que la convergence est également valable pour une option d'achat européenne avec une fonction de paiement f(x)=(xK)+f(x) = (x - K)^+.

La formule de Black-Scholes pour le prix d'une option d'achat européenne est obtenue comme suit :

Prix de l’option=S0Φ(d1)erTKΦ(d2),\text{Prix de l'option} = S_0 \Phi(d_1) - e^{ -rT} K \Phi(d_2),

d1d_1 et d2d_2 sont définis par :

d1=log(S0/K)+(r+12σ2)TσT,d2=d1σT.d_1 = \frac{\log(S_0 / K) + (r + \frac{1}{2} \sigma^2) T}{\sigma \sqrt{T}}, \quad d_2 = d_1 - \sigma \sqrt{T}.

Ici, Φ\Phi est la fonction de distribution cumulée de la loi normale standard. Cette formule est un élément central de la théorie de l'option pricing et constitue un pilier de la finance moderne.