Dans la nouvelle A New England Nun de Mary E. Wilkins Freeman, publiée pour la première fois en 1891, Louisa Ellis, une femme engagée depuis quatorze ans à Joe Dagget, prend la décision de ne pas épouser cet homme lorsqu'il revient enfin, après une longue absence. Elle préfère demeurer seule, suivant un chemin de vie qu'elle a choisi, malgré l’amour sincère de Joe et les attentes de la société. Cette décision de Louisa soulève une question profonde sur la nature de l’engagement et de l’indépendance dans une relation, mais aussi sur l'évolution des attentes sociales envers les femmes, un thème qui peut être exploré d’une manière nouvelle si l'on transpose l’histoire dans le XXIe siècle.

L’histoire de Louisa, au cœur de laquelle se trouve une contradiction apparemment simple – l’amour et la liberté – trouve une résonance particulière dans le contexte moderne. Louisa ne renie pas Joe, ni ne le rejette de manière brutale, mais elle choisit une forme d’indépendance personnelle que peu d'autres personnages de son époque auraient envisagée. Cette décision, aussi simple qu’elle paraisse, implique un profond questionnement sur les rôles traditionnels attribués aux femmes : celle de l'épouse, de la mère, et de l’élément constitutif de la famille. Dans le cadre d'une société du XIXe siècle où les femmes étaient souvent contraintes à des rôles domestiques stricts, l'attitude de Louisa, en déclinant l'engagement conjugal après tant d'années, se révèle comme une forme de résistance, une rébellion discrète mais forte contre la pression sociale et familiale.

Si nous nous projetons dans le XXIe siècle, Louisa, Joe et Lily Dyer seraient des personnages confrontés à des questions bien différentes. La dynamique du couple, l'attente sociale du mariage et la pression du temps semblent moins contraignantes aujourd'hui, mais la quête d’indépendance personnelle chez Louisa pourrait encore être perçue comme une forme de courage. Dans notre époque contemporaine, le fait de rester seule, de refuser les normes sociales d’une relation conventionnelle pour suivre une trajectoire personnelle, peut sembler une prise de position audacieuse dans un monde où les rôles individuels sont moins figés. Les personnages modernes pourraient être davantage influencés par des considérations de carrière, de liberté financière, ou d’épanouissement personnel que par les valeurs traditionnelles liées au mariage.

L'attitude de Louisa pourrait ainsi être réévaluée à travers des prismes modernes, notamment l’autonomie économique et émotionnelle des femmes dans la société actuelle. L’indépendance n’est plus seulement une question de refus d’un mariage, mais peut être interprétée comme une recherche active de l’épanouissement personnel, loin des attentes imposées par les autres. Louisa, bien que douce et respectueuse dans sa décision, incarne une forme de courage qui semble, dans une époque plus consciente de la question de l’égalité des genres, être un acte de réclamation de l’indépendance, de la maîtrise de sa propre vie.

Le personnage de Joe, de son côté, évoluerait peut-être dans une perspective moderne d’acceptation de la séparation, non plus comme un échec mais comme un choix mûrement réfléchi. Les sentiments de déception et de frustration qu’il éprouve dans le texte original pourraient être moins marqués par la culpabilité sociale qu’il aurait ressenties à l’époque de Freeman. Dans le XXIe siècle, Joe pourrait se retrouver à remettre en question ses propres aspirations, ses choix de vie, et sa vision du mariage, un aspect qui lierait son personnage à des thèmes universels de quête de soi et de remise en cause des structures sociales préétablies.

Quant à Lily Dyer, le rôle de la "troisième" dans l’histoire de Louisa, elle pourrait désormais représenter une alternative plus moderne à l’idée de la rivalité entre femmes. Dans ce contexte, Lily ne serait pas simplement la "femme de remplacement", mais un personnage à part entière, avec ses propres motivations, indépendantes et complexes. La dynamique entre Louisa, Joe, et Lily se transformerait alors en une exploration des désirs contradictoires de l’amour, de la liberté et de l'autonomie dans un monde où les choix personnels et les libertés individuelles sont beaucoup plus valorisés.

En fin de compte, le geste de Louisa prend une dimension nouvelle dans le monde actuel, où l’indépendance n’est pas seulement une manière de repousser les conventions sociales, mais aussi une revendication de soi dans un monde où chacun est appelé à redéfinir sa place, loin des rôles prescrits par la tradition. Il ne s’agit plus d’un simple choix entre deux hommes, mais d’une affirmation de son autonomie, une déclaration silencieuse de son droit à vivre selon ses propres termes, à sa propre manière. C’est cette indépendance qui, paradoxalement, ouvre la porte à la liberté des autres personnages, à la possibilité pour chacun de choisir sa vie, ses amours, sans être enfermé dans un destin qui lui serait imposé par les attentes collectives.

Comment un tueur à gages incarne-t-il le rêve américain ?

Le tueur à gages revient dans la rue après seulement deux mois d'emprisonnement, une sanction de cinq ans prononcée par le juge. Dès son retour, un sentiment de richesse s’impose à travers ses proies : les peurs des gens, les premiers rendez-vous, le premier emploi, autant de symboles de cette société où l’accumulation et l’ascension sont perçues comme des objectifs légitimes. Cette dynamique, qui se moque des structures classiques des récits traditionnels, notamment du parcours héroïque — celui qui va de l'innocence à l’expérience — est pourtant parfaitement plausible. Dans une scène marquante, Boyle décrit ce tueur à gages "errant dans les rues de la ville, le col remonté, le bord de son chapeau abaissé… Il pourrait frapper n’importe lequel d’entre nous." Par cette description, Boyle emploie une tonalité à la fois sérieuse et ironiquement légère, un ton particulier où la menace se mêle à la banalité. Ce passage reflète un imaginaire du rêve américain vu à travers les yeux d’un tueur, dont l’existence n’est pas plus éloignée de la réalité que celle des familles apparemment bien établies dans cette société.

Dans ce contexte, la figure du tueur à gages semble incarner la violence et la cupidité au cœur du rêve américain. Il ne s'agit pas seulement de dénoncer une forme de société injuste, mais de montrer que, sous l’apparence de la réussite, une réalité plus sombre persiste. En choisissant d’écrire à la première personne du pluriel, Boyle adresse directement le lecteur, comme pour lui rappeler que nous faisons tous partie de ce système. Nous sommes tous, d’une manière ou d’une autre, complices des dynamiques sociales qui mènent à la violence et à la peur, une manière de dénoncer la guerre des classes qui agite des tensions sous-jacentes dans cette quête effrénée du bonheur et de la richesse.

Cette écriture subvertit les attentes classiques du récit, déconstruisant l’idée même d’un parcours héroïque. Le tueur à gages, loin d’être un anti-héros, devient le reflet d’une société qui glorifie la réussite au détriment des principes moraux. Boyle semble proposer une réflexion sur l’ambivalence du "rêve américain" — à la fois idéal et piège. Les structures classiques de la narration ne sont ici qu'un masque pour des réalités plus profondes, où la violence et le capitalisme se confondent.

L’exercice de cette réflexion, inspirée du contexte de la fiction postmoderne, n’est pas seulement une critique de l’individualisme, mais une invitation à regarder les interactions humaines à travers un prisme plus large. La critique de la société ne repose pas uniquement sur la dénonciation de la violence apparente, mais sur l’identification des structures sociales qui créent cette violence. Un tueur à gages, dans ce cadre, n’est qu’un symptôme d’un mal beaucoup plus profond, qui se cache derrière des façades de prospérité.

Les récits postmodernes, comme celui de Boyle, parviennent à faire éclater cette illusion de sécurité. Ce sont des histoires où les règles de la narration sont bouleversées pour faire place à une autre réalité, celle des angoisses contemporaines. Le lecteur, pris dans ce jeu de miroir, est invité à réfléchir sur sa propre place dans cette société. Cette démarche postmoderne, qui déconstruit l’idée d’une narration linéaire, est une manière de rendre la fiction plus proche de la réalité, d’y inclure l’incertitude, le non-dit, et de souligner l’impossibilité d’une véritable échappatoire à l’intérieur du système qu'elle critique.

Cela permet au lecteur d’envisager un monde où les frontières entre le bien et le mal, l'héros et le criminel, sont floues. La violence, la manipulation, et la recherche incessante du pouvoir ne sont pas seulement le terrain des individus marginaux, mais sont omniprésentes dans la structure même de la société. Tout comme le tueur à gages, les autres personnages de ces récits sont confrontés aux mêmes luttes internes, à cette même contradiction entre l'aspiration au succès et les moyens pour y parvenir.

Ce type de fiction propose donc une réflexion bien plus vaste sur le rôle de l’individu dans une société où tout semble être régi par la peur, l’ambition et la survie. C’est à travers ces récits postmodernes que l’on peut comprendre plus profondément les mécanismes sociaux qui sous-tendent nos existences, en dehors de toute forme de manichéisme.

Les lecteurs doivent ainsi comprendre que ce type de narration ne cherche pas à offrir des réponses claires, mais plutôt à soulever des questions fondamentales sur le sens de nos actions dans un monde où la quête du pouvoir et de la richesse semble dominer toutes les autres considérations humaines.

Comment la narration oralisée façonne la littérature américaine

L’un des plus grands défis pour la littérature américaine au XIXe siècle a été d'affirmer son indépendance culturelle face à la domination britannique. Après la Révolution, les écrivains patriotes ont rapidement compris que pour que la jeune nation trouve sa place dans le monde, il lui fallait une littérature propre, distincte et vibrante, qui incarnerait non seulement son histoire, mais aussi ses luttes et ses aspirations. Ces écrivains ont cherché à se détacher des modèles européens, principalement britanniques, et ont voulu faire entendre une « voix américaine » qui raconterait les réalités et les mythes du nouveau monde.

Au cœur de ce projet se trouve l’idée de l’oralité, cette forme de narration qui, avant d’être figée sur papier, existait dans les rituels et les échanges verbaux. L’oralité fait partie intégrante de la culture américaine et nourrit la tradition littéraire d’une manière essentielle. Chaque histoire, qu’elle soit ancienne ou contemporaine, s’imprègne des éléments du passé tout en se renouvelant à travers les voix qui la racontent. Ce phénomène est particulièrement visible dans la façon dont des écrivains comme Washington Irving ont puisé dans les légendes et les mythes populaires européens pour créer des récits typiquement américains. Dans des œuvres comme Rip Van Winkle, Irving a non seulement métamorphosé une légende folklorique allemande, mais a aussi su la transformer en une réflexion sur l’Amérique et son identité.

L’exercice de l’histoire partagée, dans lequel les narrateurs empruntent des éléments aux récits des autres, est une illustration parfaite de ce phénomène. Les participants peuvent intégrer des fragments de récits entendus dans un même groupe, les remodeler et les recomposer pour créer un texte nouveau. Ce processus de « vol » créatif, qui est en réalité un hommage à l’art de la narration orale, montre qu'aucune histoire n’est véritablement originale. Chaque narrateur, chaque écrivain, est en quelque sorte un « voleur » qui emprunte et réinvente les expériences et les récits des autres.

Cela rejoint un aspect central de la mythologie américaine : l’idée qu’une culture, pour être véritablement distincte, doit développer ses propres mythes, ses propres héros et ses propres récits fondateurs. À l'instar des mythes grecs ou des sagas nordiques, les récits américains doivent refléter les luttes, les valeurs et les espoirs des peuples qui les racontent. Cette idée est illustrée dans les premiers écrits des auteurs comme Nathaniel Hawthorne ou James Fenimore Cooper, qui, loin de se contenter de copier les modèles européens, ont créé des récits mettant en lumière les particularités de la vie dans le Nouveau Monde, avec ses propres héros, ses propres conflits, et ses propres symboles. Les récits de l’Indien ou de l’esclave, par exemple, sont devenus des archétypes fondamentaux dans la littérature américaine, témoignant d’une expérience humaine unique.

L’importance de la mythologie dans la culture américaine ne se limite pas à la simple création de récits. Elle joue également un rôle fondamental dans la construction de l'identité nationale. Joseph Campbell, célèbre pour ses études sur les mythes et la structure du récit, a démontré que, malgré leurs différences apparentes, de nombreuses histoires partagent des structures similaires. Les archétypes qui peuplent ces récits—le héros, l’ange, l’outsider—sont des figures qui reviennent sans cesse, transcendant les frontières culturelles et temporelles. Ces personnages et leurs aventures constituent ce que l’on pourrait appeler un « mythe américain », un ensemble de récits qui, à travers leur répétition et leur transformation, donnent à la société une mémoire collective et un cadre pour comprendre son présent.

Ainsi, lorsque nous pensons à la littérature américaine, il est essentiel de ne pas seulement considérer les œuvres individuelles, mais aussi le tissu de récits et de traditions qui les sous-tendent. Chaque histoire fait écho aux précédentes, modifie la perception des événements et, dans le même temps, forge une vision du monde qui est propre à la culture américaine. Dans ce contexte, l'acte de raconter n’est pas simplement un geste individuel : il est le moyen par lequel un groupe, une nation, se construit et se définit. L’écrivain, en ce sens, est celui qui prend le relais des anciens conteurs, qui fait vivre les mythes et les récits à travers une nouvelle forme, et qui permet à la société de se comprendre elle-même à travers l’histoire.

Le processus de réécriture et de transformation des récits collectifs est également une manière de prendre conscience de la fluidité de la mémoire culturelle. Chaque nouvelle version d’une histoire, chaque nouvelle interprétation, ajoute à la richesse et à la diversité des expériences humaines tout en renforçant les liens sociaux. Dans ce cadre, la narration ne peut être simplement perçue comme un acte d’écriture : elle est un acte de reconstruction d’un passé partagé, une manière de redonner vie à des figures et à des événements qui, sans elle, risqueraient de tomber dans l’oubli.

Pour un écrivain, ce processus représente un défi passionnant : celui de ne pas chercher à inventer quelque chose de complètement nouveau, mais de s’inscrire dans une tradition vivante et en perpétuelle évolution. La narration orale et la réécriture littéraire sont ainsi les pierres angulaires de la création littéraire américaine, permettant à chaque écrivain de participer à un projet culturel collectif, tout en réinventant continuellement le paysage narratif.