Les relations entre les médias, les messages et les audiences ont profondément évolué, surtout avec l'essor des médias numériques. Ce changement a radicalement modifié la manière dont les audiences sont définies et perçues. Les plateformes de médias sociaux, en particulier, ont permis à tout un chacun de devenir à la fois créateur de contenu, diffuseur et spectateur. Cette évolution a réduit l'importance des réseaux traditionnels, qui peinent aujourd’hui à capter l'attention des jeunes adultes âgés de 18 à 49 ans. Ainsi, les chaînes de télévision américaines perdent une grande partie de leur audience, malgré leurs tentatives pour adapter leur contenu. Ironiquement, le format télévisuel qui a révolutionné les attentes des spectateurs semble aujourd’hui confronté à la nécessité de s'adapter aux nouvelles habitudes des publics, façonnées par les médias sociaux.
Les médias sociaux ont permis l’émergence d’une nouvelle réalité dans laquelle tout le monde peut devenir une star médiatique à part entière. Donald Trump, par exemple, n’a pas été le premier à profiter de ce phénomène, mais il l’a magnifiquement exploité pour atteindre la présidence des États-Unis en 2016, en s’appuyant principalement sur Twitter. Cependant, cet usage des médias sociaux ne se limite pas à des fins politiques. Des actes violents ont également été médiatisés, comme en témoigne l'exemple tragique de Bryce Williams, qui a tué deux journalistes de Virginie tout en diffusant son crime en direct sur les réseaux sociaux. Ce type de médiatisation de la violence, où l’acte lui-même devient une performance suivie par une audience mondiale, révèle l’intimité croissante entre les médias traditionnels et les nouvelles formes de communication.
Ce phénomène soulève des questions fondamentales sur la nature de l'information, la responsabilité médiatique et l’éthique de la communication. Ce qui est frappant dans ces événements, c’est la manière dont ils suivent une certaine « logique médiatique ». L’assassinat de Williams n'était pas simplement un acte de violence : il s'agissait d'une production calculée, conçue pour capter l’attention des médias et du public, qui, au fond, participe activement à la construction du récit. Les médias ont toujours joué un rôle important dans la diffusion de l'information, mais aujourd’hui, ce rôle est réorienté par la participation directe des audiences à la production et à la diffusion des messages. Le meurtrier, tout comme un « Jihadi John » ou les auteurs de l'attentat de Charlie Hebdo, a compris que pour faire entendre son message, il fallait non seulement tuer, mais aussi diffuser son acte à une échelle globale, en utilisant les formats visuels et les codes de la télévision et des médias sociaux.
La montée des plateformes comme Facebook, Twitter ou Instagram a modifié la structure même de la communication. Ce qui est désormais valorisé, ce n’est plus seulement l'information brute, mais l’émotion et la personnalisation des expériences. En d’autres termes, ce qui prime, c’est l’engagement émotionnel, la capacité à connecter, à créer des liens personnels à travers les expériences partagées. L'attention est captée non plus par des faits ou des narrations rationnelles, mais par des images, des vidéos, et des interactions immédiates. Dans cet espace numérique, les audiences ne sont plus de simples récepteurs passifs de contenus ; elles sont des acteurs à part entière, qui modifient les récits et influencent les dynamiques médiatiques.
Les médias sociaux ont également engendré un changement dans la nature de la popularité. Aujourd'hui, la célébrité se mesure par l'interaction et l'engagement, pas uniquement par la visibilité dans les médias traditionnels. Donald Trump en est un exemple éclatant : son succès repose sur sa capacité à capter l'attention, à être constamment visible et à manipuler les émotions de son audience à travers des messages directs. À l'instar de nombreuses personnalités de la culture populaire, il a transformé sa présence en ligne en un produit à part entière, créant un lien émotionnel avec ses partisans qui dépasse la simple admiration politique.
L'un des aspects les plus importants de cette transformation est la manière dont l'industrie médiatique a intégré cette nouvelle logique de l’émotion dans ses stratégies de marketing. Des entreprises comme Apple ont compris depuis longtemps que pour capter l'attention des consommateurs, il fallait au-delà de la fonctionnalité du produit, créer une expérience émotionnelle, un lien affectif. Cette notion de « plaisir » est au cœur des stratégies de communication des grandes marques et des créateurs de contenu. L’industrie des médias sociaux s’est ainsi construite autour de cette notion, visant à maximiser la satisfaction des utilisateurs en leur offrant des expériences « délicieuses » et émotionnellement engageantes.
Ce changement dans la manière de percevoir l'information et de la diffuser a également eu des répercussions sur le monde de la politique et du marketing. Des recruteurs de groupes extrémistes, comme ceux de l’État islamique, ont utilisé cette logique pour séduire et manipuler de nouveaux membres, en leur offrant une forme de reconnaissance émotionnelle via les plateformes sociales. En retour, ces nouvelles formes de communication ont permis une mondialisation de la radicalisation, où la diffusion de l’idéal est à la fois immédiate et largement amplifiée par les interactions.
Dans cette nouvelle ère, il devient crucial de comprendre que l'information n'est plus un simple produit de diffusion, mais un processus de construction collective où chacun, à travers ses interactions, ses partages et ses expériences, participe à l’élaboration du récit. Les utilisateurs des médias sociaux ne sont plus seulement des spectateurs passifs ; ils sont des co-créateurs, des participants actifs dans la redéfinition des frontières entre le privé et le public, le réel et le virtuel, l’information et la désinformation.
Comment la logique des médias a façonné la politique américaine sous Trump
La logique des médias, en particulier dans le contexte de l'ère numérique et de l'hyperconnexion médiatique, a joué un rôle déterminant dans la politique américaine pendant la présidence de Donald Trump. L'influence des médias traditionnels et des nouvelles plateformes numériques a contribué à façonner la peur collective et à polariser davantage l'opinion publique. Alors même que les taux de criminalité, en particulier les crimes violents, étaient en baisse, les médias, à travers leurs récits incessants sur les menaces potentielles – qu'elles soient liées aux immigrés, aux gangs, au terrorisme ou à la violence –, ont alimenté un climat de peur. Ce phénomène est amplifié par une culture médiatique qui, pendant des décennies, a entretenu une atmosphère de peur à travers les nouvelles, les films et les émissions populaires.
La politique de la peur, utilisée de manière stratégique par Trump, a trouvé un terreau fertile dans les médias de masse. En particulier, les attaques du 11 septembre 2001 ont intensifié la campagne de propagande antiterroriste, donnant lieu à un discours liant le terrorisme à des questions telles que la criminalité, la vente de drogue et l'immigration. La célèbre campagne publicitaire de 2002, diffusée pendant le Super Bowl, a même affirmé que l'achat de drogues soutenait le terrorisme, renforçant ainsi un lien idéologique entre ces deux fléaux. La montée en puissance de chaînes comme Fox News et des radios de droite, consacrées à des positions conservatrices, a renforcé cette dynamique en cultivant une méfiance croissante envers les institutions médiatiques traditionnelles, accusées de biais libéraux et anti-américains.
La campagne de Trump a exploité ces peurs en pointant du doigt des groupes considérés comme des menaces pour la sécurité et l'économie américaine : les immigrés, les minorités ethniques, les musulmans et les terroristes. L'objectif était de canaliser cette peur en colère et en haine envers des ennemis extérieurs, qu'ils soient réels ou fabriqués. À travers un discours populiste, Trump a su mobiliser ses partisans, exploitant leur perception d'un monde en péril. Cette dynamique n'a pas seulement été favorisée par les médias traditionnels mais aussi par les plateformes numériques, notamment les réseaux sociaux, qui ont permis aux individus de partager des opinions, souvent sans filtrage ni vérification des faits, amplifiant encore la polarisation.
Les médias numériques, notamment les smartphones et les plateformes interactives, ont facilité la diffusion de l'information de manière instantanée et personnelle. Cela a conduit à une participation accrue à la conversation publique, mais aussi à la création de chambres d'écho où les opinions sont renforcées par des contenus choisis, sans remise en question. Le résultat est une population de plus en plus déconnectée des faits objectifs et davantage influencée par des récits qui correspondent à ses croyances préexistantes. Cela a eu un impact majeur sur la perception du processus électoral, comme en témoigne la croyance largement partagée chez certains partisans de Trump que l'élection de 2020 avait été volée.
La logique médiatique a également influencé l'audience numérique, ou « E-Audience », une catégorie qui fait référence aux individus dont la compréhension du monde est de plus en plus médiatisée. Les interactions à travers les médias sociaux et la consommation instantanée de contenu ont modifié les relations sociales et les attentes, avec des conséquences profondes sur la construction de l'identité personnelle dans un monde où l'individu est constamment en quête de validation par des interactions publiques. L'ère numérique a redéfini la manière dont les gens se voient eux-mêmes et perçoivent les autres, souvent à travers le prisme des informations qu'ils consomment.
Les plateformes numériques, tout en facilitant la communication personnelle et interactive, ont permis à des récits polarisants de se propager plus rapidement, renforçant les clivages sociaux et politiques. La diffusion de rumeurs, de théories du complot comme le mouvement QAnon, et la désinformation ont alimenté un sentiment de crise constante. Des études montrent que la peur de l'immigration et les théories du complot concernant un « grand remplacement » alimentent une partie de la population américaine, exacerbant ainsi les tensions internes et l'hostilité envers les « autres ».
Ce phénomène de médiatisation a aussi des implications sur la manière dont les individus interagissent avec les technologies. Les relations sociales et les perceptions du monde ne sont plus seulement influencées par les interactions directes entre les individus, mais aussi par la manière dont les médias façonnent cette réalité. Le monde médiatisé devient ainsi un espace où les représentations sociales sont continuellement réajustées en fonction des discours véhiculés par les technologies de l'information.
Dans cette ère de communication rapide et de médias numériques omniprésents, le processus de création et de diffusion des informations est devenu une entreprise à la fois individuelle et institutionnelle, où les acteurs sociaux sont en constante interaction avec des technologies qui modifient la manière dont ils se perçoivent et perçoivent leur place dans la société. La logique des médias n'est pas seulement un outil de communication, mais elle façonne la réalité sociale elle-même, influençant la manière dont les gens réagissent aux événements, aux crises et aux idées.
Il est essentiel de comprendre que cette logique médiatique n'est pas neutre. Elle reflète des intérêts commerciaux, politiques et idéologiques qui se jouent dans un espace où les informations sont consommées rapidement et souvent sans un regard critique. L'audience numérique, de plus en plus fragmentée, cherche à valider ses propres perceptions du monde au lieu de confronter des points de vue différents. Cela a des conséquences profondes sur la manière dont les sociétés sont polarisées et sur la manière dont les individus se perçoivent dans un monde où les vérités sont de plus en plus relatives.
La montée de la peur et de l'autocratie : Le rôle des médias et du pouvoir dans l'ère Trump
La déclaration du sénateur républicain Lindsey Graham, qualifiant la procédure de destitution de "foutaises partisanes" et affirmant qu'il "ne prétend pas être un juré impartial" (Stracqualursi, 2019), illustre parfaitement l'atmosphère politique qui a dominé les États-Unis durant l'ère Trump. Cette confession, loin d'être un simple écart de langage, reflète une dynamique plus profonde qui affecte le Sénat américain dans son ensemble. Le leader républicain au Sénat, Mitch McConnell, a confirmé cette position en déclarant : "Je vais suivre les indications des avocats du président" (Stolberg, 2019), une déclaration choquante qui a révélé un alignement inébranlable avec le président mis en accusation, au détriment de la responsabilité constitutionnelle de la chambre haute du Congrès.
Cette alliance entre McConnell et Trump a été particulièrement frappante car, comme l’a observé le représentant du Maryland, Jamie Raskin, "Si le sénateur McConnell dit qu'il n'y a aucune chance de condamnation et qu'il collabore avec la Maison-Blanche, il a essentiellement abandonné le mandat constitutionnel du Sénat de mener un procès" (Wire & Megerian, 2019). Ce contexte de peur, qui a régné sur les procédures à la Chambre des représentants et au Sénat, a engendré un climat où la vérité et l'équité ont été sacrifiées au nom du parti. Si certains sénateurs républicains ont reconnu que la conduite du président Trump était fautive, seuls deux sénateurs républicains ont soutenu l'appel à témoins comme John Bolton, qui a plus tard révélé que Trump avait admis avoir retenu des fonds pour l'Ukraine afin d'obtenir une enquête sur les Bidens (Bolton, 2020). Malgré cette reconnaissance de l'inconduite, aucun républicain, à l'exception de Mitt Romney, n'a eu le courage de voter "coupable". Ce manque de courage politique a marqué un tournant décisif, non seulement pour le Congrès et la présidence, mais pour le pays tout entier.
L'ascension de Donald Trump n’est pas dissociable de l’évolution des médias commerciaux aux États-Unis, en particulier de la manière dont la télévision d'information a amplifié le rôle de la peur dans la formation de l'opinion publique. Comme l'a souligné Altheide (1995), le modèle de diffusion commerciale a longtemps reposé sur l'idée d'attirer les audiences pour générer des revenus publicitaires. Trump, en utilisant une rhétorique chargée d'émotions et de peurs, a trouvé un terreau fertile dans un paysage médiatique obsédé par l'hyper-sensationalisme.
Les médias, en particulier les programmes d'information, sont devenus des vecteurs de la peur. Par leur logique propre, qui combine publicité, culture populaire et divertissement, ils ont construit des cadres d'angoisse qui ont façonné les perceptions publiques de la menace, de la criminalité et de la violence. La peur a alors été amplifiée à travers deux processus principaux : d'une part, la mise en lumière des craintes relatives à la criminalité, et d'autre part, la mise en scène d’événements comme des menaces immédiates pour la sécurité nationale. Cette logique des médias a non seulement capté l’attention des spectateurs, mais l’a aussi orientée vers une réalité où la menace, l’insécurité et la victimisation étaient omniprésentes.
L’impact de ce traitement médiatique s'est étendu bien au-delà de la sphère politique et s'est infiltré dans la culture populaire. Aujourd'hui, l'audience attend des informations qu’elles soient dramatisées, souvent sous forme de récits catastrophiques, afin de faire appel à ses émotions. Cette quête de peur a facilité l’émergence d’une vision du monde où les solutions proposées par les politiciens se sont souvent centrées sur la sécurité et le contrôle, légitimant ainsi l'expansion de l'État et la surveillance. La gestion de la peur, ainsi que sa propagation à travers les médias, devient un moyen d'encadrer les discours sociaux et politiques, transformant le spectateur en acteur passif, réceptif à des politiques de sécurité renforcée, voire de contrôle autoritaire.
Il convient de noter que la peur, bien que souvent associée à la criminalité, ne se limite pas à cette seule dimension. Elle est devenue un cadre discursif qui s’étend à d’autres domaines tels que la guerre, le terrorisme et les relations internationales. Après les attaques du 11 septembre, les États-Unis ont opéré un glissement vers un "risque sociétal" (Ericson & Haggerty, 1997), où chaque menace – qu'elle soit intérieure ou extérieure – a été perçue comme une justification pour étendre le pouvoir de l'État et accroître la surveillance. Ce processus de peur a été instrumentalisé dans le cadre de la "guerre contre le terrorisme", un récit où la terreur, alimentée par la peur constante de nouvelles attaques, a redéfini les priorités politiques et militaires de la nation.
Ce contexte de peur, exacerbée par les médias, a mené à des transformations profondes dans la politique intérieure des États-Unis, où le contrôle de l'opinion publique par la peur a permis à des figures politiques, comme Trump, de manipuler la perception des menaces pour justifier des actions politiques parfois antithétiques aux principes démocratiques. Le discours de la peur a ainsi nourri un climat dans lequel l'autocratie et la manipulation des masses sont devenues des stratégies viables.
Au-delà de cette mécanique médiatique et politique, il est crucial de comprendre que cette culture de la peur n'est pas une simple conséquence des événements politiques, mais fait partie d'un processus historique plus large. Elle repose sur une transformation des pratiques médiatiques et des stratégies de communication qui ont redéfini le rôle de l’information dans la société contemporaine. En outre, ce phénomène de peur a des répercussions profondes sur la manière dont les citoyens perçoivent leur place dans la société et leur relation avec l'État, générant des fractures sociales et un climat propice à l'acceptation de politiques autoritaires.

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