L’échelle F, développée dans The Authoritarian Personality (AFLS), soulève de nombreuses difficultés tant sur le plan conceptuel que méthodologique. D’abord, une large part des items évaluent non pas des traits de personnalité individuels, mais plutôt des visions du monde sociales. Par exemple, au lieu d’interroger des préférences personnelles telles que la réaction à l’autorité directe ou l’autonomie, plusieurs questions portent sur des convictions sociétales telles que la nécessité de « dirigeants courageux, infatigables, dévoués, en qui le peuple peut avoir foi » ou l’idée que la force pourrait être justifiée pour restaurer une « véritable » manière de vivre américaine. Ainsi, loin de mesurer la personnalité autoritaire au sens strict, ces questions sondent des attitudes collectives, politiques ou culturelles. Une appellation plus précise aurait donc été « la vision du monde autoritaire ».

De plus, l’échelle intègre un spectre d’items très disparates, allant de la croyance en l’astrologie à des opinions sur la sexualité dans l’Antiquité, en passant par des attitudes face aux catastrophes naturelles ou aux rôles sociaux traditionnels. Ce mélange déroute et s’éloigne de la définition classique de l’autoritarisme, qui est plutôt liée à la préférence pour la soumission à une autorité, la conformité et l’agressivité envers les déviants. Cette prolifération d’éléments apparemment périphériques traduit la tentative des auteurs de capter une conception très large et parfois confuse de ce qu’est l’autoritarisme, décomposé en neuf sous-facteurs : conventionnalisme, soumission autoritaire, agressivité autoritaire, anti-intraception, superstition et stéréotypie, puissance et dureté, destructivité et cynisme, projectivité, et sexualité.

Sur le plan méthodologique, le choix des échantillons pour les enquêtes est problématique. Faute de ressources, les auteurs ont recruté un ensemble hétéroclite de participants, incluant des étudiants de différentes universités californiennes et de la côte Est, des syndicalistes, des membres d’associations professionnelles et même des détenus. Si le nombre total de participants dépasse 2 000, la représentativité nationale est absente, limitant la portée généralisable des conclusions. L’échantillon reflète donc davantage une diversité sociale locale et spécifique, souvent jeune et centrée sur la côte Ouest des États-Unis, que la population américaine dans son ensemble.

Un biais plus subtil, mais non moins déterminant, touche à la formulation même des items. Tous les énoncés sont rédigés de manière à ce que l’accord reflète une personnalité autoritaire, ce qui favorise une tendance connue en psychologie sociale : le biais d’acquiescement. Les répondants ont ainsi plus tendance à dire « oui » sans vraiment différencier leur position réelle, risquant de surévaluer le score autoritaire. Pour pallier cela, il aurait été nécessaire d’introduire des affirmations contradictoires où l’accord indiquerait une absence d’autoritarisme, par exemple valoriser l’indépendance d’esprit ou la créativité. L’absence de telles formulations affaiblit la validité de l’échelle.

Les résultats du livre comportent des extraits d’interviews cliniques frappants par leur dureté, reflétant des attitudes racistes et antisémites extrêmes, illustrant bien le profil « autoritaire » tel que défini par AFLS. Pourtant, les explications avancées, centrées sur des interprétations freudiennes discutables, suggèrent que cette personnalité résulte d’une éducation rigide, dominée par un parent (souvent le père) anxieux et autoritaire. Cette discipline parentale excessive entraînerait la peur du désaveu, une répression des défauts personnels, et une projection agressive sur des groupes perçus comme inférieurs. Cette théorie psychanalytique demeure controversée, notamment pour son manque de fondements empiriques solides et sa portée explicative limitée.

Il est crucial de comprendre que The Authoritarian Personality, malgré sa richesse descriptive et sa notoriété, ne propose pas une mesure pure et incontestable de la personnalité autoritaire. Son approche mêle vision du monde, croyances culturelles, attitudes sociales et traits personnels dans un ensemble conceptuellement flou. Le biais méthodologique, la sélection non représentative des participants, et la formulation unilatérale des items limitent la validité et la portée des conclusions. Enfin, la psychanalyse reste une hypothèse explicative parmi d’autres possibles, insuffisamment étayée pour constituer un cadre définitif.

Par conséquent, cette œuvre doit être abordée avec une vigilance critique, en distinguant ce qui relève d’une description contextuelle des attitudes d’une tentative plus large de conceptualisation psychologique. La complexité des phénomènes autoritaires demande des outils plus précis, des échantillons rigoureusement choisis, et des modèles intégrant des facteurs sociaux, cognitifs, historiques et culturels, afin de dépasser les limites de l’approche initiale.

Qu’est-ce qui motive les partisans ardents de Trump ? Une réflexion sur la sécurité physique et culturelle

Le sociologue Robert Wuthnow, à travers ses longues interactions avec les habitants des zones rurales américaines, a observé une tendance commune chez ces derniers : bien qu’ils soient souvent décrits comme des individualistes rugueux, ils sont en réalité profondément orientés vers la communauté. Selon Wuthnow, ces personnes recherchent la familiarité des petites villes parce qu’elles y trouvent un sentiment de sécurité, un lieu où elles peuvent connaître tout le monde et ressentir une forme de contrôle sur leur environnement. Cependant, cette orientation communautaire, loin d’être idéalisée, se révèle être pragmatique, presque utilitaire. Les habitants de ces petites villes cherchent à préserver leur identité et leur confort en excluant souvent les étrangers, renforçant ainsi leur sentiment de sécurité. Cette dynamique est en parfaite adéquation avec le sécuritarisme : protéger sa communauté passe par la réduction du nombre d’inconnus.

L’un des aspects clés que Wuthnow met en lumière est que les résidents ruraux ne perçoivent pas la communauté comme un lieu où la solidarité est censée s’épanouir de manière émancipatrice, mais plutôt comme un espace où chaque individu prend en charge ses propres affaires et où la principale obligation est de ne pas être un fardeau pour les autres. Cette vision pratique et atomisée de la communauté tranche avec la notion plus romantique que l’on retrouve dans certains écrits sur le communitarisme. Ainsi, l’idée que "c’est l’individu qui, par son action, contribue au bien-être de tous" semble mieux correspondre à la réalité vécue par ces habitants que les théories classiques de la solidarité collective. En d’autres termes, la communauté rurale, pour beaucoup, n’est ni un lieu de solidarité collective ni un modèle de sociabilité inclusive. Elle est avant tout un espace de sécurité et de préservation de l’identité face aux menaces extérieures.

Ce désir de protéger la famille et les traditions des intrusions extérieures trouve un écho particulier dans le soutien à des figures politiques comme Donald Trump. Si l’on en croit les observateurs, Trump incarne une forme de populisme, s’adressant directement au peuple et se posant en défenseur des valeurs traditionnelles face aux élites. Pourtant, il serait réducteur de qualifier ses partisans de populistes dans le sens classique du terme. Le populisme, défini comme un retour du pouvoir aux masses, est souvent associé à une rhétorique qui valorise le pouvoir du peuple contre les élites. Or, ce n’est pas nécessairement ce que prônent les partisans de Trump. En effet, même s’ils dénigrent les élites, leurs revendications ne vont pas forcément dans le sens d’une démocratie plus directe ou d’une plus grande influence populaire. Parfois, ces partisans souhaitent simplement voir l’Amérique protégée des menaces extérieures et maintenir une vision homogène de ce qui constitue l’identité nationale.

L’appartenance à un groupe privilégié, une communauté perçue comme sécurisée, est au cœur de l’idéologie sécuritaire. Au lieu d’être centrés sur des idéaux politiques ou des doctrines économiques, les partisans de Trump sont avant tout motivés par un besoin de sécurité physique et culturelle. En ce sens, l’orientation sécuritaire des partisans de Trump n’est pas réductible à un populisme simpliste ou à une politique d’exclusion basée uniquement sur l’identité. Leur priorité est la préservation de la stabilité et de l’ordre face à un monde perçu comme de plus en plus chaotique et menaçant.

Les différences fondamentales entre les partis politiques américains sont, selon les politologues Matt Grossman et David Hopkins, le reflet d’une asymétrie idéologique qui se manifeste de multiples façons, que ce soit par les thèmes de campagne, les stratégies de collecte de fonds ou les visions pour le pays. Les républicains, selon eux, sont une "parti idéologique", tandis que les démocrates ne seraient qu’une "coalition de groupes disparates". Mais cette analyse néglige l’aspect sous-jacent des idéologies : les républicains défendent une vision sécuritaire du monde, fondée sur l’exclusion d’autres groupes, tandis que les démocrates, dans une logique d’inclusion, luttent pour intégrer les outsiders et les protéger des menaces perçues. En ce sens, les partis ne sont pas seulement divisés par leurs principes politiques mais par leurs conceptions de la sécurité – une sécurité physique et culturelle qui, pour les républicains, se trouve dans la préservation d’un espace homogène, et pour les démocrates, dans l’accueil des divers groupes étrangers et marginalisés.

Il est essentiel de comprendre que cette distinction entre inclusion et exclusion n’est pas simplement une question de politique partisane ; elle forme la base même des idéologies politiques, qui sont souvent mal comprises comme étant uniquement économiques ou abstraites. En réalité, ces idéologies sont profondément ancrées dans les orientations psychologiques des individus, qui se manifestent à travers leurs attitudes face aux "autres". Les sécuritaires, en particulier, sont ceux qui voient l’ordre social comme devant être préservé à tout prix, quitte à exclure ceux qui sont perçus comme étrangers ou menaçant cette stabilité.

Les attitudes envers les femmes et les hommes : une analyse des perceptions des soutiens de Trump

L'idée que les femmes sont moins capables que les hommes est profondément ancrée dans certaines perceptions sociales et politiques, mais elle n'est en aucun cas fondée sur des preuves scientifiques. L’étude des attitudes à l’égard des femmes révèle une différence marquée dans les perceptions selon l’orientation politique des individus, notamment entre les soutiens de Trump et ceux des autres courants politiques. Il est important de noter que les femmes sont souvent perçues comme moins compétentes ou moins talentueuses que les hommes dans plusieurs groupes sociaux et politiques, mais ces perceptions varient grandement en fonction des croyances politiques et des expériences personnelles des individus.

Les résultats d'une enquête récente montrent des divergences frappantes entre les différents groupes politiques concernant la perception des capacités des femmes. Si les libéraux sont largement d'accord pour dire que "l'idée que les femmes sont moins capables que les hommes est fausse" (85 % d'accord), les conservateurs, en particulier ceux qui vénèrent Trump, ont des avis plus partagés (65 % et 69 % respectivement). Ces chiffres illustrent bien l'influence des opinions politiques sur les perceptions des rôles de genre. Il est évident que, contrairement aux perceptions traditionnelles de la droite conservatrice, une grande majorité des libéraux rejettent l'idée d’une inégalité naturelle entre les sexes.

L'index de sexisme bienveillant, qui évalue des perceptions plus subtiles de la place des femmes dans la société, révèle également des différences notables. Par exemple, l’idée que les femmes devraient être "chéries et protégées" par les hommes est largement partagée par les soutiens de Trump, atteignant 74 % d'accord, contre seulement 34 % chez les libéraux. Ce phénomène de sexisme bienveillant est fréquemment observé dans les groupes plus conservateurs, où la protection et l'idéalisation des femmes semblent être perçus comme des principes moraux plutôt que comme des entraves à l'égalité des sexes.

Les résultats concernant l'idée que "les hommes ont encore beaucoup plus de facilité que les femmes" montrent un autre contraste significatif. Tandis que 80 % des libéraux estiment que les hommes bénéficient d'un statut plus facile dans la société, seulement 40 % des soutiens de Trump partagent cette opinion. Les conservateurs qui ne vénèrent pas Trump sont également moins enclins à reconnaître les disparités entre les sexes, ce qui suggère que les perceptions des inégalités de genre sont souvent minimisées dans les cercles politiques conservateurs.

D'un autre côté, les attitudes envers la "compétence" des femmes semblent moins polarisées entre les groupes. Tandis que les libéraux rejettent massivement l'idée que les femmes sont moins talentueuses que les hommes, les conservateurs sont plus divisés. Cependant, cette division ne semble pas aussi marquée que celle observée sur les questions liées aux inégalités raciales. Dans l'ensemble, les perceptions concernant le sexisme "ouvert", c’est-à-dire l'idée que les femmes sont intrinsèquement inférieures aux hommes, ne présentent pas de grandes disparités entre les soutiens de Trump et ceux des autres groupes conservateurs.

Cette complexité dans les attitudes envers les femmes peut être attribuée à la manière dont les idées de protection, de rôle traditionnel des sexes et de sexisme bienveillant sont intégrées dans les idéologies politiques. Les soutiens de Trump, qui se trouvent souvent dans des contextes sociétaux où la hiérarchie des sexes est encore vue comme naturelle, sont plus enclins à adhérer à ces visions conservatrices du rôle des femmes.

Il est important de souligner que, bien que les attitudes à l'égard des femmes soient loin d'être homogènes, elles sont souvent liées à des perceptions plus larges de l'ordre social et de l'égalité des sexes. Par exemple, la notion de "protection" des femmes par les hommes, fréquemment associée à des rôles traditionnels, trouve un écho plus fort chez ceux qui perçoivent les changements sociaux comme une menace à l'ordre établi. Ainsi, même si une majorité reconnaît que les femmes sont tout aussi capables que les hommes, ces mêmes personnes peuvent être d’accord avec des idées sexistes bienveillantes qui placent les femmes dans des rôles de dépendance ou de soumission.

Il est crucial pour les lecteurs de comprendre que ces attitudes ne sont pas seulement le reflet de préjugés personnels, mais qu'elles sont également influencées par des dynamiques politiques et sociales complexes. Les différences entre les soutiens de Trump et les autres groupes conservateurs montrent que, même au sein d’un même courant idéologique, il existe des variations significatives dans la façon dont les rôles de genre sont perçus et intégrés dans le tissu social. Ces résultats démontrent que les attitudes envers les femmes, loin d'être uniformes, sont façonnées par des facteurs multiples, incluant les valeurs traditionnelles, la perception des menaces sociétales et les positions politiques.

Pourquoi les partisans de Trump ne sont-ils pas des personnalités autoritaires, mais sécuritaires?

L'analyse des valeurs et des comportements des partisans de Donald Trump révèle une distinction fondamentale entre les individus qui vénèrent Trump et ceux qui partagent des convictions conservatrices traditionnelles : les partisans de Trump, loin de présenter une personnalité autoritaire, affichent plutôt une personnalité sécuritaire. Cette distinction se trouve au cœur des différences comportementales et psychologiques observées dans les attitudes envers la famille, la société et la sécurité.

Lorsqu'on examine la manière dont ces individus perçoivent l'éducation des enfants, il est frappant de noter que les partisans de Trump choisissent rarement des options conformistes ou autoritaires. En effet, par rapport aux conservateurs non-vénérant Trump, ces derniers sont significativement moins enclins à considérer qu'il est important d'élever les enfants de manière humble et modeste. Ils montrent aussi une préférence pour l'option "agressivement travailler pour le changement" plutôt que "travailler discrètement dans l'ombre". Ces choix, bien que subtils, signalent une tendance à privilégier l'affirmation de soi et la recherche de la sécurité par des actions visibles et parfois directes.

Sur un plan plus théorique, la motivation centrale des partisans de Trump semble résider dans une quête de sécurité, notamment en préservant l’individu, la famille et la culture "insider". Cette recherche de sécurité se manifeste par une focalisation sur la préparation aux menaces extérieures et sur une protection renforcée contre des risques perçus comme déstabilisateurs, qu'ils soient sociaux, politiques ou économiques. Les individus qui adoptent cette orientation sécuritaire se caractérisent par un rejet de la faiblesse et un désir de maintenir une position de force, que ce soit dans la sphère familiale ou au sein de la société.

L’indicateur de la personnalité sécuritaire, mesuré à travers une série de six items, a permis de distinguer les partisans de Trump des autres groupes politiques. Parmi ces éléments, les affirmations comme "Je pense beaucoup à la sécurité de ma famille et de mon pays" ou "La préparation face aux menaces est le meilleur principe pour mener sa vie" trouvent un écho particulièrement fort chez les vénérateurs de Trump, qui y répondent positivement dans des proportions bien plus élevées que les libéraux ou même les conservateurs non-vénérateurs de Trump. Ces résultats montrent une forte corrélation entre l'adhésion à des principes sécuritaires et l'identification politique à Trump.

Cependant, ce profil sécuritaire n’implique pas une soumission ou une acceptation aveugle de l’autorité. Les partisans de Trump ne sont pas plus enclins que d’autres conservateurs à se soumettre à des figures d’autorité. Au contraire, leur orientation vers la sécurité les amène à adopter des comportements de résistance, ou du moins de défi vis-à-vis des normes qu'ils perçoivent comme menaçant leur stabilité ou leur mode de vie. Par conséquent, l'affirmation de soi, l'indépendance et la résistance à l'autorité sont vues comme des stratégies pour préserver cette sécurité tant désirée.

Ce n'est donc pas tant la soumission à l'autorité qui caractérise les partisans de Trump, mais plutôt leur désir profond de sécuriser leur environnement contre les menaces perçues, qu’elles soient économiques, culturelles ou politiques. Ce focus sur la sécurité, plus que sur l'obéissance, renvoie à une vision du monde où le maintien de l'ordre et des structures sociales repose sur la défense des valeurs intérieures et de l'autonomie.

Au niveau politique, cette quête de sécurité se traduit par des priorités concrètes. Les partisans de Trump valorisent des politiques qui visent à renforcer la sécurité nationale, à limiter les flux migratoires et à protéger ce qu'ils considèrent comme les valeurs fondamentales de la société américaine. Contrairement aux libéraux, qui mettent l'accent sur les droits de l'homme et la justice sociale, les partisans de Trump se préoccupent avant tout de la protection des individus contre des forces extérieures qu'ils perçoivent comme menaçant leur stabilité sociale et économique.

La principale leçon à tirer de cette analyse est que les partisans de Trump, contrairement à une conception traditionnelle de l'autoritarisme, possèdent une personnalité sécuritaire. Ils ne cherchent pas nécessairement à imposer l'autorité, mais plutôt à préserver un environnement où ils se sentent en sécurité, tant au niveau individuel que collectif. Leur soutien à Trump, plutôt que d’être motivé par un désir de domination ou de soumission, découle d’une volonté de protéger leur mode de vie face à des changements sociaux qu'ils jugent menaçants.

Les implications de cette distinction entre personnalité autoritaire et sécuritaire sont nombreuses. Elles soulignent que la politique et les valeurs des partisans de Trump ne sont pas dictées par une simple obéissance aveugle, mais par un ensemble complexe de croyances et de peurs liées à la sécurité et à la préservation de l'ordre social. En ce sens, il est essentiel de comprendre que leur soutien à Trump ne relève pas uniquement de l'idéologie, mais aussi d'une réponse psychologique et sociale à des réalités perçues comme menaçantes.

Qu'est-ce qui façonne les préjugés politiques et idéologiques chez les individus ?

Les recherches sur le biais partisan ont révélé des phénomènes fascinants sur la manière dont les individus, qu'ils soient libéraux ou conservateurs, façonnent leurs opinions politiques à travers des processus cognitifs et émotionnels complexes. Une étude méta-analytique réalisée par Grady et Zinger (2019) compare le biais partisan des libéraux et des conservateurs, mettant en lumière non seulement l'intensité de ces biais, mais aussi la manière dont ils affectent les décisions politiques. Ces biais sont souvent inconscients, enracinés dans des processus cognitifs qui échappent à la pleine conscience des individus. Plus encore, ces biais semblent être bipartisans, ce qui signifie que, bien que leurs expressions varient, tant les libéraux que les conservateurs subissent l'influence de préjugés liés à leur orientation politique.

Le biais partisan ne se limite pas à un simple déni d'objectivité ou à une mauvaise interprétation des faits. Il est souvent ancré dans des besoins psychologiques profonds, tels que le besoin de certitude et de sécurité, des besoins que certaines théories, telles que celles de Duckitt (2010), relient directement à l'autoritarisme et à la manière dont les individus perçoivent et réagissent aux menaces sociales. L’idée que les individus qui se sentent menacés par des changements sociaux ou économiques peuvent être plus enclins à adopter des positions politiques rigides est soutenue par plusieurs théories psychologiques sur l'autoritarisme de droite. L’étude de Duckitt et Sibley (2009) montre qu’un monde perçu comme menaçant renforce le désir d'un ordre social conservateur et stable, conduisant à un soutien accru aux idéologies politiques de droite.

L’une des dynamiques les plus intrigantes concernant les préjugés idéologiques est la manière dont les individus réagissent face à l’incertitude. Le besoin de certitude, que ce soit dans la politique ou dans la vie personnelle, amène certains individus à rechercher des réponses simples et claires à des questions complexes. Cette tendance est particulièrement marquée chez les conservateurs, qui, comme l'ont observé Dodd et al. (2012), ont une propension plus forte à chercher à comprendre le monde en termes de dichotomies claires entre le "bon" et le "mauvais". Ce phénomène peut expliquer en partie pourquoi les conservateurs peuvent être plus enclins à rejeter des informations nuancées qui ne correspondent pas à leurs croyances préexistantes.

En revanche, les libéraux, tout en étant également influencés par des biais cognitifs, ont tendance à privilégier des valeurs de diversité et de complexité. Toutefois, leur engagement pour ces valeurs ne les rend pas nécessairement plus ouverts à des informations qui vont à l'encontre de leurs convictions. Le biais de confirmation n'est pas l’apanage d’un seul groupe politique ; il affecte tout un chacun, dans des mesures différentes, selon la manière dont chaque individu perçoit et réagit aux informations.

Un autre aspect important à comprendre est l'influence du groupe social sur les opinions politiques. Le processus de socialisation joue un rôle crucial dans la formation des préjugés idéologiques, notamment au sein de groupes religieux ou ethniques. L'étude de Djupe et Burge (2017) sur les électeurs religieux de Trump révèle un phénomène paradoxal, dans lequel des individus issus de groupes religieux traditionnels, généralement associés à des valeurs de tolérance et d'inclusivité, soutiennent des politiques qui vont à l'encontre de ces valeurs. Ce paradoxe met en lumière l’interaction complexe entre croyances personnelles, affiliation politique et contexte social.

Les électeurs de Trump, en particulier, illustrent comment des sentiments d’insécurité et d’appartenance peuvent influencer le soutien à des politiques et des dirigeants politiques. Dans ce contexte, il est important de noter que la politique, loin de se réduire à un simple affrontement d'idéologies, est aussi une question de réponse émotionnelle à des perceptions de menace. Les politiques populistes, comme celles de Trump, ont été façonnées en grande partie par cette dynamique émotionnelle. La capacité de Trump à exploiter la colère et la peur au sein de sa base électorale a été un facteur clé de son succès, comme l’ont montré les travaux de Thomas Edsall (2019).

Les recherches actuelles montrent aussi que la polarisation politique ne concerne pas seulement les idées politiques, mais aussi les émotions liées à ces idées. Le rôle des émotions dans la politique est un domaine émergent qui cherche à comprendre comment la peur, la colère, et la frustration alimentent les préférences idéologiques. Ainsi, comprendre les préjugés politiques ne se limite pas à analyser des biais cognitifs, mais implique aussi de prendre en compte les facteurs émotionnels et sociaux qui façonnent la manière dont les individus interprètent et réagissent aux événements politiques.

Une des leçons importantes que l’on peut tirer de ces recherches est que les biais partisans, bien qu'inévitables, ne sont pas immuables. L'éducation, la confrontation avec des informations contradictoires, et l'ouverture au dialogue peuvent aider à réduire l'impact de ces biais. Cependant, le changement n'est pas facile. Les individus sont souvent réticents à remettre en question des croyances profondément ancrées, et la polarisation politique peut renforcer les perceptions de "l'autre" comme étant irrationnel et dangereux.

En somme, il est crucial de comprendre que les biais idéologiques et partisans ne sont pas simplement des phénomènes cognitifs, mais des éléments profondément enracinés dans les structures psychologiques, sociales et émotionnelles des individus. La lutte pour comprendre la politique et la nature humaine ne cesse de s’approfondir, offrant ainsi un vaste champ d’exploration pour les chercheurs et les penseurs contemporains.