Le phénomène sécuritarien repose sur une aspiration profonde à la protection de soi et de son groupe, fondée sur une méfiance viscérale envers la dépendance à autrui et aux institutions étatiques. Ce positionnement se manifeste par une critique radicale de ce que beaucoup perçoivent comme une « complaisance mentale » de la société dans son ensemble, une inertie face aux menaces potentielles, qu’elles soient criminelles, sanitaires ou culturelles. L’expérience de la pandémie de coronavirus à partir de 2020 n’a fait que renforcer cette vision : l’isolement et l’autosuffisance apparaissent alors comme les remparts indispensables contre un monde extérieur jugé hostile et instable.

Cette dynamique se différencie nettement des formes traditionnelles de libertarianisme, qui, bien que prônant un État minimal, reconnaissent souvent la nécessité d’un rôle public pour la sécurité militaire et policière. À l’inverse, les sécuritariens nourrissent une peur viscérale de toute ingérence gouvernementale qui pourrait entraver leur capacité à assurer eux-mêmes leur défense face aux « infiltrations » de criminels, d’étrangers ou de parasites sociaux. L’hostilité à des mesures aussi anodines que l’interdiction des sacs plastiques ou la réglementation des ampoules incandescentes traduit leur sentiment d’une emprise étatique excessive, perçue comme une entrave directe à leur autonomie défensive.

Cette quête d’indépendance trouve une expression particulière dans l’adhésion à des théories du complot, souvent relayées dans certains cercles politiques comme ceux des fervents partisans de Donald Trump. Le témoignage de populations extrêmement défavorisées mais farouchement patriotes révèle à quel point la liberté de ne dépendre de personne — même au prix de conditions de vie précaires — est valorisée. Cette forme de liberté s’entend surtout comme un retrait du contrôle d’autrui, une « mise hors de portée » qui garantit une forme d’intégrité individuelle, même fragile.

Le modèle sécuritarien s’oppose aussi bien au fascisme qu’à l’autoritarisme classique. Contrairement aux fascistes qui valorisent un État fort et un contrôle totalitaire de la société, les sécuritariens privilégient une défense fragmentée, individualiste, décentralisée, où chaque groupe ou individu construit ses propres protections. Quant aux autoritaires, ils redoutent les « perturbateurs » qui remettent en cause l’ordre établi, alors que les sécuritariens valorisent ces mêmes « disruptors » comme les garants d’une remise en cause nécessaire, visant à protéger leur sécurité « d’initiés ».

Cette ambivalence entre désir d’un leader fort et crainte d’une autorité trop pesante marque profondément la psychologie sécuritarienne. Elle se traduit par une défiance radicale à l’égard des institutions classiques et une préférence pour un scrutin extrêmement rigoureux des dirigeants, qui doivent non seulement parler leur langage mais aussi incarner cette vision de la protection et de la souveraineté personnelle. La figure de Donald Trump en est emblématique : ni simple militariste, ni libertarien économique, ni internationaliste, mais un leader qui promet de défendre les droits à l’autodéfense tout en bousculant l’ordre politique.

Si l’exemple américain avec son obsession pour le droit de porter des armes peut sembler spécifique, la mentalité sécuritarienne est mondiale et transcende les contextes culturels. Qu’il s’agisse des résistances aux directives européennes au Royaume-Uni, du soutien aux politiques de sécurité drastiques aux Philippines, du rejet des flux migratoires en Europe, ou des initiatives de défense communautaire dans des régions instables comme le Mexique ou l’Afghanistan, le besoin de contrôle local, d’autonomie face à un pouvoir jugé distant ou inefficace, se retrouve partout.

Il est essentiel de comprendre que cette quête de sécurité, tout en s’appuyant sur des revendications très concrètes, repose sur un sentiment profond d’exclusion et de vulnérabilité. Le sécuritarisme ne se réduit pas à une posture politique : il exprime une forme d’identité et de rapport au monde, un refus d’être « protégé » au sens passif, un rejet de la dépendance, et un combat pour le contrôle direct de son environnement. Cette dynamique explique les tensions et paradoxes internes du mouvement, tiraillé entre aspiration à la force et peur de la domination, entre rejet des autorités et recherche de leaders légitimes.

Comment les préoccupations sécuritaires influencent la politique et la société actuelle

Les niveaux de signification dans les résultats d’études peuvent parfois sembler décalés en raison des différences de pourcentages, mais ces variations s’expliquent généralement par la répartition inégale des cas entre les catégories, en particulier par le nombre bien plus élevé de personnes dans la catégorie des "sécuritaires". Par exemple, les "guerriers sociaux" semblent être légèrement plus fiables (mesuré par la conscienciosité), avec un score de 92 contre 91 pour les "sécuritaires", et des résultats supérieurs à ceux des autres groupes (83 et 84 respectivement). Pourtant, bien que les "guerriers sociaux" ne soient pas significativement différents des autres adorateurs de Trump, les "sécuritaires" le sont, notamment à cause du nombre beaucoup plus important de "sécuritaires" par rapport aux "guerriers sociaux" (environ 4 contre 1).

Les corrélations ont été calculées en tenant compte de l’ensemble de la variable disponible, et non d’une version dichotomisée (par exemple, les corrélations ont été établies à partir des seize catégories de revenus, plutôt qu’en fonction du critère simple de savoir si le revenu était supérieur ou inférieur à 50 000 dollars). Cette approche permet d’éviter de perdre des informations et rend les corrélations rapportées plus précises.

Une des grandes fractures démographiques se situe entre les "sécuritaires" et les "guerriers sociaux" d’une part, et les "économiquement préoccupés" et les partisans du Tea Party d’autre part. En moyenne, ces derniers groupes ont six ou sept ans de moins que les deux premiers. Cette différence d’âge peut suggérer des divergences importantes dans la perception des enjeux sociaux et politiques, ainsi que dans les priorités qui façonnent les opinions politiques actuelles. Il est donc crucial de comprendre ces catégories non seulement par leur appartenance, mais aussi à travers leurs caractéristiques générationnelles.

La fiabilité des auto-déclarations sur des sujets tels que ceux mentionnés ici doit toujours être prise avec une certaine prudence. Par exemple, bien qu’une majorité de personnes disent être inscrites sur les listes électorales, il est important de souligner que la réalité peut être quelque peu différente, ce qui montre l’écart entre les perceptions individuelles et les actions concrètes.

Les résultats des enquêtes, tels que ceux concernant les perceptions de menaces, révèlent des différences intéressantes entre les divers types d'adhérents de Trump. Par exemple, lorsqu'il s'agit de l'immigration, les "économiquement préoccupés" et les partisans du Tea Party se sentent plus menacés que ceux qui pensent qu’il faut faire plus pour protéger les individus. En revanche, les "sécuritaires" ont tendance à vouloir davantage protéger les gens plutôt que de se sentir eux-mêmes menacés. Cela soulève une question importante : le sentiment de menace n’est pas toujours lié à la volonté de renforcer les protections pour les "insiders", mais plutôt à des préoccupations sur l’avenir et la sécurité.

Un autre contraste frappant réside dans les attitudes envers les soins de santé. Si on compare les partisans du Tea Party et les "sécuritaires", un schéma similaire à celui de l'immigration apparaît : les premiers sont plus enclins à se sentir menacés que de plaider pour davantage de protections, tandis que les "sécuritaires" expriment une préférence pour des mesures visant à protéger, plutôt que pour une approche défensive vis-à-vis des menaces perçues. Les "économiquement préoccupés", en revanche, se montrent plus enclins à soutenir des actions supplémentaires pour améliorer le système de santé, bien qu’ils aient exprimé des préoccupations similaires sur l'immigration.

Il est intéressant de noter que les "sécuritaires" ne reçoivent pas autant d'attention médiatique que leurs chiffres le suggéreraient, ce qui peut refléter la manière dont leur influence est perçue dans le débat politique. Bien que leur nombre soit élevé, leur impact pourrait être sous-estimé en raison de la manière dont leur discours et leurs actions sont interprétés par les observateurs externes.

L'attitude des "sécuritaires" face à des problématiques telles que l'immigration ou la santé démontre un phénomène important : la sécurité perçue ne semble pas être un facteur déterminant dans leur positionnement. Ce groupe recherche davantage des politiques qui préservent et protègent l’intégrité de ses membres, même sans qu'il n'existe un sentiment immédiat de menace. Cela contraste avec les autres groupes qui, bien qu'exprimant un sentiment de menace, ne voient pas nécessairement un besoin urgent de renforcer les protections. Cette dynamique pose un défi complexe pour la politique contemporaine, en particulier dans les contextes où l’opinion publique est divisée et où les préoccupations sécuritaires dominent le débat.

En outre, la relation entre ces groupes et leur approche de la politique de sécurité peut aussi être observée à travers les régulations émises par des figures politiques comme Ken Cuccinelli, ancien directeur par intérim des Services de citoyenneté et d'immigration des États-Unis, qui ont facilité des politiques d’immigration restrictives. Ces politiques incarnent parfaitement les attitudes sécuritaires envers l'immigration et montrent comment des préoccupations sécuritaires peuvent se traduire par des changements législatifs concrets.

En somme, comprendre la dynamique entre les perceptions de menace, les priorités politiques et les groupes sociaux qui façonnent ces perceptions est essentiel pour appréhender les conflits sociaux actuels et leur impact sur la politique. La sécurité, dans son sens le plus large, apparaît comme le principal moteur de l’engagement politique de nombreux citoyens, influençant leur vision du monde et leur participation aux processus démocratiques.