L'échec de la "guerre contre la pauvreté" de Lyndon B. Johnson trouve ses racines autant dans son contenu que dans la manière dont elle fut présentée. L’usage du terme « guerre » a, dans un premier temps, galvanisé les soutiens, mais a rapidement contribué à la fragilisation du programme. En construisant une rhétorique belliqueuse, Johnson a créé une attente d'efficacité rapide, de victoire claire, de stratégie militaire identifiable – autant d’éléments inadaptés à la complexité sociale de la pauvreté. Comme l’observe David Zarefsky, l’image d’un combat inconditionnel contre un ennemi intangible a structuré le discours public de manière contre-productive : les symboles qui avaient permis un élan initial ont aussi servi à délégitimer l’action en soulignant ses échecs.
Lorsque la guerre du Viêt Nam s’est imposée au centre des priorités nationales, l’espace politique pour soutenir un programme coûteux et idéologiquement ambivalent s’est réduit. L’incapacité de Johnson à élaborer une narration cohérente et durable autour de la pauvreté a exposé ses initiatives à une critique féroce, en particulier de la droite, qui y voyait une forme d'assistanat inefficace et idéologiquement biaisé. L’espace rhétorique laissé vacant par l’échec du programme a permis l’essor d’analyses plus conservatrices, qui déplacèrent le débat de l’économie vers la culture.
Le rapport Moynihan fut un tournant dans l'association explicite entre pauvreté et race. Commandé par Johnson en 1965, ce rapport ambitionnait d’expliquer les racines structurelles de la pauvreté chez les Afro-Américains. Il postulait que la désintégration de la famille noire – attribuée à l’exclusion sociale des hommes noirs du rôle de pourvoyeur patriarcal – était au cœur d’un cycle de pauvreté auto-entretenu. La notion de "pathologie" fut utilisée pour décrire la dynamique familiale afro-américaine, ancrant ainsi la pauvreté noire dans une logique quasi-médicale. L’analyse de Moynihan, bien qu’ambitieuse, cristallisa une vision où la pauvreté noire devenait non seulement sociale mais aussi culturelle, voire quasi génétique.
Cette vision fit écho à une dichotomie ancienne entre les "pauvres méritants" et les "pauvres imméritants". Déjà présente dans l’Angleterre élisabéthaine, cette distinction traversa l’Atlantique et structura le regard américain sur la pauvreté : les pauvres devenaient des victimes de malchance, tandis que les "pauvres paresseux", ou "pauvres culturels", étaient perçus comme moralement responsables de leur condition. Michael Katz montre comment cette catégorisation devint centrale dans les politiques américaines, et comment l’anthropologue Oscar Lewis, avec son concept de "culture de la pauvreté", donna une légitimité pseudo-scientifique à une lecture comportementaliste et stigmatisante de la misère.
Le rapport Moynihan s'inséra dans cette tradition. En rendant la pauvreté noire explicite et en reliant ses causes à une supposée défaillance culturelle, il offrit aux conservateurs une grille de lecture qui justifiait le retrait de l'État au nom de l’autonomie individuelle. Peu importait que Lewis lui-même n’ait pas conçu son concept dans cett
Comment la rhétorique de la criminalité a façonné les perceptions raciales et politiques dans les années 1980 et 1990
La campagne de George H. W. Bush en 1988 a joué sur des thèmes raciaux et de peur liés à la criminalité, influençant ainsi de manière significative l’opinion publique et la perception de son adversaire Michael Dukakis. L'une des figures les plus marquantes de cette campagne fut la publicité du « Willie Horton », qui mettait en scène un homme noir accusé de crime violents, ce qui exploitait la peur des Blancs vis-à-vis des délinquants noirs dans les centres urbains. Cet outil de campagne racialisé, bien qu’indirect, réussit à associer Dukakis à une politique de tolérance excessive envers la criminalité, renforçant ainsi l’image d’un candidat trop faible pour défendre l’ordre public. Les sondages ont révélé une baisse considérable du soutien à Dukakis après cette diffusion, une étiquette dont il ne se remit jamais pleinement. Bien que l’on ne puisse pas dire avec certitude que cette publicité ait déterminé l’élection, elle a permis à Bush de prendre le contrôle du discours public, modifiant ainsi la perception de son adversaire.
Le discours d'investiture de Bush en 1989 poursuivit cette stratégie. Il aborda la question de la pauvreté urbaine, tout en évitant des références raciales explicites. Il fit un parallèle entre la dépendance au bien-être et l’esclavage, une comparaison qui renvoyait inévitablement à des connotations raciales, en particulier envers les Afro-Américains. Ses paroles, telles que « ceux qui ne peuvent se libérer de l’esclavage de l’addiction », se voulaient une critique de l’État-providence et des classes sociales marginalisées, tout en instaurant un lien entre la pauvreté des quartiers urbains et une forme de décadence morale. La critique de l’aide sociale comme solution défaillante à la pauvreté, dans un contexte de crise économique, résonnait particulièrement auprès des électeurs blancs, qui se sentaient de plus en plus frustrés par ce qu’ils percevaient comme une distribution injustifiée d’aides sociales.
La rhétorique de Bush sur la criminalité, bien que plus nuancée que celle de Ronald Reagan, s’inspirait d’un discours récurrent de « loi et ordre » qui remontait aux années 1960, période où les républicains avaient combattu l’essor des mouvements afro-américains. Mais, contrairement à cette époque, les années 1980 et 1990 virent une augmentation des perceptions de violence urbaine, souvent associée à des groupes ethniques minoritaires, en particulier les Noirs. L’urbanisation des États-Unis, la déindustrialisation et la montée du chômage parmi les populations urbaines afro-américaines avaient contribué à l'aggravation de la pauvreté et à l’augmentation des délits. Cependant, malgré une baisse générale de la criminalité dans les années 1980, l’image véhiculée par les médias d'une « menace » grandissante dans les villes conduisit à un climat de peur parmi les Blancs, en particulier ceux vivant en périphérie. La couverture médiatique excessive de la criminalité dans les quartiers noirs renforça la croyance qu’une partie de la population était condamnée à vivre dans une spirale de violence et de pauvreté.
Dans ce contexte, l’appel de Bush aux « valeurs fondamentales » semblait répondre à une peur croissante du crime. Pourtant, cette stratégie de peur n’était en réalité qu’une mise en scène de l’anxiété des électeurs face à un problème dont la nature et l’échelle étaient souvent mal comprises. Les images transmises par les médias — des vidéos de la violence urbaine, des quartiers délabrés, des comportements criminels attribués principalement aux minorités noires — avaient créé une distorsion de la réalité. Les chiffres montraient pourtant une réduction de la criminalité à l’échelle nationale, mais la perception qu’en avaient les Américains, renforcée par des messages politiques, était celle d’une menace omniprésente.
Dans son discours d’investiture, Bush mettait en lumière l’urgence d’aider les jeunes femmes des quartiers démunis, qu’il qualifiait d’incapables de « s’occuper de leurs enfants ». Par cette remarque, il accréditait l’image stéréotypée d’une femme noire urbaine défaillante, incapable de subvenir aux besoins de sa famille. Ce discours, tout en se voulant paternaliste, réaffirmait des valeurs conservatrices, notamment la sacralisation de la famille traditionnelle et la valorisation des comportements « moraux » de ses électeurs blancs.
L’idéologie véhiculée par Bush, en particulier lors de son discours d’investiture, renforçait l’idée d’une séparation entre « eux » — les habitants des quartiers urbains, représentés comme déviants — et « nous » — les électeurs blancs, porteurs des « bonnes » valeurs. Cette division entre les deux groupes, souvent amplifiée par les stéréotypes raciaux, permettait de justifier les choix politiques régressifs et de maintenir une hiérarchie sociale fondée sur la couleur de peau et les classes économiques.
Les émeutes de Los Angeles, survenues en 1992, viennent rappeler l'intensité de ces tensions raciales et sociales. Bien que Bush ait connu un pic de popularité au début de 1991, ces émeutes, fruit d’une oppression historique et d’injustices systémiques, ont révélé les fractures profondes au sein de la société américaine. Si les médias ont rapporté ces événements comme étant la preuve d’une violence incontrôlable, les racines de ces révoltes étaient liées à des décennies de discrimination, d'inégalité et de répression policière, des thèmes que les politiques républicaines, notamment celles de Bush, avaient souvent ignorés ou minimisés.
Le discours sur la criminalité dans les années 1980 et 1990 a donc joué un rôle crucial dans la consolidation d’une vision raciale de la société américaine. Bien que la criminalité urbaine ait été un problème réel, la façon dont elle a été présentée dans les médias et exploitée par la politique a exacerbé les divisions raciales, créant une perception selon laquelle la criminalité était intrinsèquement liée à des groupes minoritaires, et ce, malgré les statistiques qui montraient une tendance à la baisse des délits.

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