Ce que Donald Trump a dit, bien que non nécessairement un sujet de fierté, était défendable tant que cela se produisait entre personnes partageant les mêmes idées dans un contexte fermé. Cela illustre la position relativiste de Trump, qui semble soutenir que se réjouir d'agressions sexuelles est acceptable selon le contexte. L'extrait ci-dessus montre également que Trump a défendu ses paroles en faisant référence au poids relatif de toutes les fautes. En évoquant l'État islamique (ISIS), il a tenté de détourner l'attention de ses manquements au lieu de les accepter et d'y faire face directement. La défense de type "ce n'était pas aussi grave que X" démontre encore une fois la volonté de Trump d’adopter le relativisme moral lorsqu’il ne pouvait pas nier la vérité de la situation.

Les propos de Trump ont été fermement condamnés, même par des membres du Parti républicain, bien que la plupart aient conservé leur soutien envers lui. Cependant, même au sein de ces condamnations, certains ont continué à relativiser l’indéfendabilité morale de l’agression sexuelle par divers moyens rhétoriques. L'une des réactions particulièrement intéressantes fut celle de Ben Carson, actuel secrétaire au Logement et au Développement urbain. Carson a suivi l'exemple de Trump en qualifiant les commentaires de "paroles de vestiaire" et a même suggéré que ceux qui se préoccupent de ces propos devraient "les appeler comme bon leur semble pour se sentir bien" (Nelson, 2016, para. 10). Dans la même interview, Carson a insinué que le problème avec les commentaires de Trump résidait peut-être dans le fait qu'ils n’avaient pas été exprimés assez souvent et que la société était devenue trop sensible. Il se souvient de son enfance, où "les gens essayaient toujours de parler de leurs conquêtes sexuelles, essayant de se donner une image de donjuan, vous savez, comme Casanova..." (Nelson, 2016, para. 2). Ce cas est fascinant dans le contexte plus large du soutien à Trump et du Parti conservateur dans son ensemble, car Carson est un chrétien dévot et, peut-être plus que tout autre candidat, a mis sa foi religieuse au cœur de sa campagne politique. Les chrétiens évangéliques ne sont généralement pas connus pour prôner le relativisme ou pour hésiter sur la moralité des péchés sexuels. Ainsi, bien que le relativisme moral soit devenu un outil important pour Trump, il a aussi entraîné d'autres commentateurs conservateurs dans un réseau contradictoire.

L'épisode de l'Access Hollywood ne s’est pas révélé être le moment charnière de la campagne que beaucoup avaient anticipé, puisque Trump a remporté la présidence le 8 novembre 2016. Malgré sa victoire, Trump a obtenu le 46e rang parmi les 58 marges de victoire les plus importantes de l’histoire du Collège électoral américain, tout en perdant le vote populaire et en entrant à la Maison-Blanche avec des chiffres d'approbation historiquement bas. En conséquence, Trump a continuellement soutenu des narratifs faussement relatifs sur une "victoire écrasante" et a avancé des allégations non fondées de fraude électorale qui lui auraient coûté le vote populaire, afin de soutenir son image de président populaire. Ces narratifs se sont révélés factuellement incorrects, mais Trump et ses alliés ont aussi eu recours à des récits relativistes pour repousser ces réalités empiriques.

Peut-être l'une des situations les plus connues de ces instances de relativisme a été le discours entourant la taille de l’audience à la cérémonie d’inauguration de Trump. Le 21 janvier 2017, lors de son premier briefing à la presse, le porte-parole de la Maison-Blanche, Sean Spicer, a attaqué ce que l'administration Trump considérait comme des représentations médiatiques inexactes de l’inauguration. Citant de fausses informations sur le nombre de passagers du métro à Washington D.C. le jour de l'inauguration et l'utilisation de revêtements de sol blancs qui donnaient l'apparence de foules plus petites, Spicer a déclaré : "C'était le plus grand public jamais réuni pour une inauguration—point final—autant en personne qu’à travers le monde" (Cilliza, 2017, para. 7). Le lendemain, la conseillère présidentielle Kellyanne Conway, interrogée sur les fausses déclarations de Spicer dans une interview sur NBC, a répondu : "Ne soyez pas trop dramatiques à ce sujet, Chuck. Vous dites que c’est un mensonge, mais ils ont donné—notre porte-parole, Sean Spicer, a donné des faits alternatifs à ce sujet" (Blake, 2017, para. 4). L'expression "faits alternatifs" a été rapidement critiquée dans les médias grand public et même dans la culture populaire, considérée comme une attaque sans restriction contre la vérité objective et une tentative de relativiser des narratifs sans fondement comme étant également valides.

L'utilisation de "faits alternatifs" n’était pas un simple engagement avec la vérité et la fausseté, mais une suggestion que des compréhensions différentes des faits empiriques sont également plausibles. L'idée de "faits alternatifs" illustre comment les figures proches de Trump ont manipulé le concept de vérité en suggérant qu’une version des événements, même si elle est infondée, pouvait être aussi valide qu’une autre. Cela a même été perçu comme une stratégie de communication soigneusement élaborée pour solidifier l’adhésion de la base de soutien de Trump, souvent désignée sous le terme de "le peuple".

Cet appel à ses partisans s'est aussi manifesté dans d'autres contextes. Par exemple, lors d'une interview avec David Muir sur ABC News, Trump a été interrogé à plusieurs reprises sur sa fausse affirmation selon laquelle il y avait une fraude électorale généralisée lors des élections de 2016, prétendant que des millions de votes de personnes décédées ou de migrants clandestins lui avaient fait perdre le vote populaire. Sans fournir de preuves factuelles à l'appui de ses propos (et en fait étant contredit lorsque Muir a noté que l’auteur du rapport Pew que Trump citait disait qu’il n'y avait aucune preuve de fraude électorale), Trump a tenté de maintenir ce récit en se référant à ce que ses partisans croyaient être vrai. Il a déclaré : "Laissez-moi vous dire, vous savez ce qui est important, des millions de personnes sont d'accord avec moi... Les gens qui ont voté pour moi—beaucoup de gens disent qu'ils ont vu ces choses se produire" (Muir & Trump, 2017, paras. 77–78). Lorsqu'on lui a demandé si c'était dangereux de parler de millions de votes illégaux sans preuve, Trump a répondu : "Pas du tout, car beaucoup de gens pensent comme moi". Cela montre comment Trump a glissé d’une position de "détenteur de la vérité" à une position relativiste, comme lorsque, face à l'incapacité de nier les faits sur des bases objectives, il a progressivement utilisé la croyance de ses partisans comme substitut à la réalité.

Dans d'autres contextes, comme l’attaque de Charlottesville en août 2017, Trump a également utilisé des arguments relativistes face à des crises morales, cherchant à minimiser ou à justifier des actes de violence en fonction de perceptions subjectives de la situation.

Comment comprendre la posture de Trump comme "diseur de vérité" à travers l’analyse de Foucault ?

L’événement de Charlottesville, où James Alex Fields, Jr. fonça avec sa voiture sur une foule de contre-manifestants, tuant l’un d’eux et en blessant une trentaine d’autres, constitue un point de rupture significatif dans la façon dont Donald Trump a abordé la question de la vérité. Sa réaction initiale semblait établir une équivalence morale entre les manifestants, qui appartenaient pour la plupart à des groupes suprémacistes blancs, néo-confédérés et néo-nazis, et les contre-manifestants. Trump déclara, "Nous condamnons dans les termes les plus fermes cette démonstration manifeste de haine, de bigoterie et de violence de part et d’autre" (Rascoe, 2018, para. 11). Cependant, après que des membres de son propre camp aient exigé qu’il dénonce explicitement les groupes haineux impliqués dans ces violences, il appela le KKK, les néo-nazis et les suprémacistes blancs dans une déclaration officielle. Pourtant, le lendemain, lors d'une conférence de presse à Trump Tower, Trump sembla revenir sur ses propos initiaux, réitérant son point de vue selon lequel les deux camps étaient responsables de la violence, ce qui amplifia encore l’ambiguïté morale de sa position. Dans sa réponse, il chercha à inclure les "alt-left", ce groupe qu’il désignait comme l’équivalent de l'”alt-right”, affirmant que les deux côtés étaient "violents". Cette tentative de relativiser la violence de groupes ouvertement racistes et de leurs opposants antiracistes souleva une forte controverse, et le président ne parvint pas à se distancier des accusations de racisme qui avaient précédemment été portées contre lui.

Cette manière de réagir, qui oscille entre des affirmations perçues comme des déclarations de vérité et des relativisations évidentes de celle-ci, incite à une réflexion plus profonde. En effet, Trump se positionne sans cesse comme celui qui "dit la vérité" d’une manière franche et débridée. Cela soulève la question : quelle est la relation de Trump avec la vérité ? Son discours semble incarner ce que l'on pourrait qualifier d'une ère post-vérité, ou encore refléter la désintégration des notions d'objectivité et de faits établis dans une société postmoderne. Toutefois, ces interprétations attribuent peut-être trop de mérite à Trump en tant que penseur ou acteur conscient du déclin de la vérité objective.

Afin de mieux comprendre cette posture, il convient de se tourner vers la pensée de Michel Foucault, notamment son analyse du concept de "parrhesia" (ou "franchise" en français). Bien que Foucault soit généralement associé à des critiques de la vérité et à l’analyse de la manière dont celle-ci est manipulée dans des systèmes de pouvoir, ses derniers travaux se sont davantage orientés vers une réflexion sur la manière dont la vérité peut être dite, en particulier à travers la pratique de la parrhesia dans la Grèce antique. Ce concept, qui se rapporte à l'acte de dire la vérité de manière courageuse, sans détour ni manipulation, peut offrir un cadre utile pour examiner la prétendue posture de Trump en tant que "diseur de vérité".

Dans son étude de la parrhesia, Foucault met en lumière plusieurs caractéristiques fondamentales. Le "parrhesiaste" — celui qui pratique la parrhesia — est avant tout une personne qui parle librement et sans retenue, qui révèle tout ce qu’elle pense et exprime des vérités, parfois risquées, dans le but de faire évoluer le comportement ou la pensée de son interlocuteur. Foucault précise également que pour que l’on parle véritablement de parrhesia, le locuteur doit être prêt à risquer quelque chose, que ce soit sa popularité ou sa sécurité, en exposant la vérité de manière délibérée. Enfin, l'objectif de ce discours doit être de critiquer et d’améliorer la condition de l’autre. L'énonciation de la vérité ne se fait pas dans un but purement égoïste ou narcissique, mais dans une perspective morale visant à faire progresser la société.

Sur cette base, il est tentant de rapprocher certains traits du discours de Trump de ces caractéristiques de la parrhesia. En tant qu'outsider politique, il se présente comme un homme qui ne craint pas de dire ce qu’il pense, de briser les codes et les normes de la politique traditionnelle. Il s'affiche comme un "diseur de vérité" qui dit tout haut ce que d'autres taisent, n’hésitant pas à prendre des positions controversées et à bousculer les tabous de la politique. Par exemple, ses déclarations sur Charlottesville, où il a insisté sur le fait que les deux camps étaient responsables, ont été perçues par ses partisans comme une vérité qu’il n’avait pas peur de dire, malgré les risques politiques.

Cependant, cette approche est problématique lorsque l’on examine plus en profondeur la nature de cette "vérité" que Trump véhicule. Si, dans une certaine mesure, il semble adhérer à l'idée de parrhesia, en disant ce qu'il pense sans filtre, ses paroles ne remplissent pas les conditions de la parrhesia telles que définies par Foucault. En effet, Trump ne cherche pas à améliorer la condition des autres, ni à aider les "souverains" ou les citoyens à devenir moralement meilleurs. Ses déclarations sont souvent stratégiques et visent à renforcer ses propres positions politiques et à diviser plutôt qu’à réunir. Loin de chercher à instaurer un dialogue constructif, son discours tend à exacerber les divisions et à alimenter la polarisation.

Ce qui distingue donc Trump d'un véritable parrhesiaste, selon Foucault, c’est la nature de ses intentions. Tandis que le parrhesiaste antique prend des risques personnels pour faire évoluer son auditoire et le critiquer dans une visée éthique, Trump semble utiliser la "vérité" de manière utilitaire, sans souci de l’amélioration de la société dans son ensemble. Ses discours ne visent pas à élever le débat, mais à défendre ses propres intérêts, tout en manipulant la perception de la vérité à son avantage. Il s'agit là d'une forme de vérité vide, dénuée de responsabilité morale, ce qui représente un danger pour la démocratie, car cela relativise le concept même de vérité objective et éthique dans l'espace public.

En résumé, bien que Trump se présente comme un détracteur de la "political correctness" et un défenseur de la vérité brute, son rapport à la vérité ne correspond pas à celui du parrhesiaste tel que l’analyse Foucault. Ses propos, souvent contradictoires et manipulés à des fins politiques, ne contribuent pas à un dialogue constructif mais exacerbent plutôt la division sociale. La véritable pratique de la parrhesia, selon Foucault, nécessite non seulement un engagement moral et éthique envers la vérité, mais aussi un risque personnel et un désir sincère de contribuer au bien-être collectif. Trump, en tant que "diseur de vérité", semble, au contraire, incarner une version pervertie de cette notion, détachée de tout engagement moral véritable.

La vérité et la manipulation : Le rôle de la désinformation à l’ère de Trump

Les événements politiques des dernières années, en particulier l’ascension et la présidence de Donald Trump, ont révélé une époque marquée par l’interconnexion entre pouvoir, médias sociaux et manipulation de la vérité. Dans ce contexte, la politique de Trump a mis en lumière non seulement la capacité de propager de fausses informations à grande échelle, mais aussi l’implication active des mécanismes sociaux et politiques dans la diffusion de la désinformation. Ce phénomène, souvent désigné sous le terme de "post-vérité", est devenu l’un des moteurs principaux de la polarisation des sociétés contemporaines, notamment aux États-Unis. L’impact de la manipulation de la vérité a des conséquences profondes sur la manière dont les individus perçoivent la réalité et comment ils interagissent au sein du système politique.

Sous la présidence de Trump, la prolifération des "fake news" a atteint des proportions sans précédent, alimentée par un discours délibéré de distorsion de la réalité. Les mensonges et les déclarations trompeuses énoncées par le président ont été régulièrement documentés, non seulement par des médias traditionnels comme The New York Times et The Washington Post, mais aussi par des études académiques. Par exemple, des recherches menées par des institutions comme le Pew Research Center et l’Université de Harvard ont montré que les soutiens de Trump étaient parmi les plus grands diffuseurs de fake news. La propagation de ces informations erronées, souvent soutenues par des biais idéologiques, a exacerbé le fossé entre différentes couches de la population américaine, notamment en ce qui concerne des sujets comme l’immigration, les droits des minorités et les inégalités sociales.

Le phénomène de "whistle politics" ou politique du sifflet, analysé par des chercheurs comme Lopez, souligne l’usage systématique de discours raciaux codés, qui exploitent les peurs et les frustrations d’une partie de la population américaine. Ces discours permettent de mobiliser des électorats qui se sentent menacés par la diversité ou l’influence croissante des communautés non-blanches. Ce type de rhétorique raciste, souvent masqué sous des arguments économiques ou sécuritaires, devient ainsi un outil de division et de manipulation de l’opinion publique.

Parallèlement à cette politique de division, Trump a également ouvert un espace pour une révision radicale des concepts de vérité et de réalité. Le déni des faits, en particulier concernant des enjeux critiques comme le changement climatique ou les questions de santé publique, a alimenté une forme de scepticisme qui permet aux gouvernements et aux institutions de détourner l’attention des enjeux réels. Le refus de reconnaître les preuves scientifiques sur le réchauffement climatique ou l’utilisation de mensonges pour justifier des politiques migratoires strictes en sont des exemples flagrants. Dans ce contexte, la vérité devient relative, manipulée pour servir des intérêts particuliers plutôt que des principes objectifs.

Il est crucial de noter que cette approche de la vérité ne se limite pas seulement à Trump ou à son administration. Elle reflète une tendance plus large, exacerbée par la montée des médias sociaux et la fragmentation des sources d’information. L’émergence de chambres d’écho numériques où les utilisateurs sont confinés à leurs propres croyances a facilité la diffusion de la désinformation. Par conséquent, la capacité des individus à discerner des faits objectifs de la fiction est sérieusement compromise. Dans ce cadre, des institutions comme les écoles et les médias doivent prendre une position claire pour défendre la véracité et encourager une éducation critique qui aide les individus à naviguer dans ce paysage informationnel complexe.

L’analyse de l’idéologie populiste portée par Trump nous invite à repenser la place de la vérité dans le discours politique. L’ère de Trump a permis à des leaders politiques de se défaire des conventions de vérité objective, en se reposant sur une stratégie qui mélange mensonges et exagérations. Ce phénomène peut être vu comme une manifestation de ce que certains philosophes ont qualifié de "détournement de la raison", où la logique et la rationalité sont mises à l’écart pour favoriser des récits émotionnels qui résonnent avec les préoccupations immédiates et souvent irrationnelles du public.

Un autre élément essentiel dans ce débat est la montée de l’ignorance délibérée, ou "willful ignorance", qui désigne la tendance à rejeter la vérité par choix, souvent pour éviter la dissonance cognitive. Cette attitude se manifeste dans les décisions politiques et sociales de Trump, où des faits prouvés sont ignorés au profit de croyances populaires ou idéologiques. Cela conduit à des décisions politiques qui ne sont pas fondées sur des faits vérifiables, mais sur des récits simplifiés qui répondent à des peurs ou des désirs spécifiques d’une partie de la population. Le rejet des informations contradictoires, notamment concernant les minorités et les immigrés, est devenu une caractéristique marquante de cette ère.

Ce phénomène est aussi observé dans le domaine de l’éducation, où de nombreux enseignants se retrouvent dans une position délicate, devant naviguer entre la nécessité de transmettre des connaissances objectives et la pression sociale de véhiculer des récits partisans ou déformés. Les chercheurs en éducation, comme Rubin et Macedo, ont soulevé l’importance de l’éducation critique et de la pédagogie sociale pour contrer ces dynamiques, et pour cultiver une population qui ne se contente pas de la vérité simplifiée et manipulée, mais qui cherche activement à comprendre la complexité du monde.

À une échelle plus globale, la montée du populisme et la manière dont il a façonné la politique sous Trump soulignent la fragilité des démocraties modernes face à la manipulation des faits. Ce phénomène n'est pas isolé aux États-Unis, mais reflète des tendances mondiales où des leaders populistes, profitant des nouvelles technologies et des fractures sociales, manipulent les vérités pour asseoir leur pouvoir. Le défi reste de développer des mécanismes robustes pour la protection des faits, de la science et de la rationalité dans le discours politique.