L'épisode narré dans la Brihadaranyaka Upanishad, un texte appartenant au corpus védique, soulève des questions fascinantes sur la base historique de certains événements mentionnés. Existe-t-il un grand sage nommé Yajnavalkya ? Une femme nommée Gargi a-t-elle vraiment participé à une quête philosophique dominée par des hommes ? Était-ce la mort qui attendait les vaincus lors de telles compétitions intellectuelles ? Combien de personnes étaient réellement intéressées par de telles questions ésotériques ? Répondre avec certitude à ces interrogations est délicat. Les textes védiques, bien qu'ils fassent allusion à des scènes de débats philosophiques intenses où l'enjeu semblait être la réputation et même la vie, ne doivent pas être considérés comme des récits historiques. Les poètes qui composaient les hymnes védiques de louange et de supplication aux dieux, tout comme les prêtres qui expliquaient les rituels à suivre, n'étaient pas des historiens. Les textes védiques sont avant tout religieux et rituels, et non des œuvres d'histoire. Cependant, en les croisant avec les preuves archéologiques disponibles, ces textes peuvent devenir des sources précieuses d'information sur certains aspects de la vie des peuples qui habitaient la vallée de l'Indus, la zone indo-gangéthique et la vallée supérieure du Gange entre les IIe et Ier millénaires avant notre ère.

Lorsqu'on aborde cette période, de nombreux récits historiques de l'Inde ancienne passent d'une narration basée sur l'archéologie à une basée sur les textes védiques. L'archéologie, en général, est citée seulement lorsque ses découvertes viennent corroborer ce que les textes suggèrent. Cette approche a conduit à un accent excessif sur les régions du nord et du nord-ouest du sous-continent, au détriment d'autres zones. Elle a aussi contribué à l'occultation de preuves archéologiques substantielles provenant des cultures néolithiques, chalcolithiques et de l'âge du fer, qui nous renseignent sur la vie des gens ordinaires vivant dans diverses régions du sous-continent entre 2000 et 500 avant notre ère. Le défi consiste à intégrer les preuves provenant à la fois des textes et de l'archéologie, chaque fois que cela est possible. Toutefois, ces deux sources ne correspondent pas toujours parfaitement. Lorsqu'on traite de la culture matérielle, il convient de privilégier les preuves archéologiques. Les textes védiques, quant à eux, constituent une riche source d'informations sur le développement des concepts philosophiques, des idées religieuses et des pratiques dans les régions où ils ont été composés.

Un autre défi réside dans l'exploration et l'élargissement du potentiel historique des preuves archéologiques provenant de régions où aucun texte n'est disponible, et où l'archéologie demeure la seule fenêtre sur le passé. Pour comprendre le puzzle historique complexe du sous-continent entre 2000 et 500 avant notre ère, il est nécessaire de juxtaposer avec soin les profils fondés sur l'archéologie et ceux combinant textes et archéologie des différentes régions, en reconnaissant que, dans certains cas, les pièces du puzzle ne s'imbriquent pas parfaitement.

Extraire l'histoire d'un corpus textuel aussi ancien, vaste et complexe que les Védas n'est pas une tâche facile. Malheureusement, il n'existe pas de versions critiques des textes qui identifieraient leur noyau originel. Les traductions du XIXe siècle ne sont pas fiables, et les traductions récentes, qu'elles soient en langues européennes ou indiennes, sont peu nombreuses. Une grande partie de cette entreprise dépend de l'interprétation des mots et des phrases, dont les significations peuvent varier d'un texte à l'autre et d'un contexte à l'autre. Le corpus védique n'était pas une littérature populaire, et ne représente donc pas les idées ou pratiques du peuple. Il a été composé, préservé et transmis par et pour une section des Brahmanes. Il s'agit ici des Brahmanes en tant que groupe social, et non en tant que catégorie de textes védiques. Les textes ont été transmis oralement pendant de nombreux siècles, et il est incertain de savoir quand ils ont été pour la première fois mis par écrit. Les plus anciens manuscrits qui nous sont parvenus datent du XIVe siècle de notre ère, bien que les textes soient bien plus anciens que cela. Les dates de composition du Rig Veda, par exemple, font l'objet de débats. Des références astronomiques dans le texte ont été utilisées pour en déterminer la date, mais ont donné des résultats différents. Par exemple, Ludwig a conclu que ce texte avait été composé au XIe siècle avant notre ère, tandis que Jacobi a estimé que la composition remontait au IIIe millénaire avant notre ère. Plus récemment, Subhash Kak (2001) a soutenu que les références astronomiques du Rig Veda suggèrent une période allant de 4000 à 2000 avant notre ère. Une inscription datant de 1380 avant notre ère, trouvée à Bogaz Koi, dans le nord-est de la Syrie, fait état d'un traité entre un roi Hittite et un roi Mitanni. Elle mentionne des dieux comme Indara (Indra), Mitras (Mitra), Nasatia (les Ashvins) et Uruvanass (Varuna), qui sont également cités dans le Rig Veda. Bien que la majorité des habitants du Mitanni parlaient la langue hurienne locale, l'inscription indique que leurs souverains avaient des noms d'inspiration indo-aryenne et invoquaient des dieux indo-aryens. Ces inscriptions sont pertinentes pour l'histoire des langues et des dieux indo-aryens, mais ne fournissent pas d'informations directes ou définitives sur la date du Rig Veda. Il existe des similitudes entre la langue et la culture du Rig Veda et celles d'un ancien texte iranien appelé l'Avesta, ce qui pourrait être un indice important pour dater le Rig Veda, bien que les dates de l'Avesta ne soient pas certaines.

Il est aussi important de rappeler que les livres 2 à 7 du Rig Veda Samhita, dits "livres familiaux", ont été attribués à certaines familles de poètes-sages, comme Gritsamada, Vishvamitra, Vamadeva, Atri, Bharadvaja et Vasishtha. Ces hymnes sont organisés selon des critères stricts, ce qui permet de détecter les interpolations : les hymnes qui perturbent cet ordre ont dû être ajoutés plus tard. Cependant, ces interpolations ne signifient pas nécessairement que les hymnes ajoutés sont plus jeunes dans leur composition. Les livres 1, 8, 9 et 10 semblent appartenir à une période plus tardive.

Les textes védiques peuvent être utilisés comme sources historiques pour les régions où ils ont été rédigés. Les livres familiaux du Rig Veda Samhita ont été composés dans la terre de Sapta-Sindhu, la région des sept rivières, comprenant l'Indus, ses cinq affluents et la Sarasvati, probablement identifiée avec l'actuel Ghaggar-Hakra.

Comment les cultes et les déesses ont façonné les traditions religieuses du sud de l'Inde et du bouddhisme

Les épopées tamoules dépeignent l'Indra festival comme un événement essentiel, imprégné de significations religieuses profondes. Ce culte, particulièrement associé à la cour royale, semble jouer un rôle central dans la prospérité du roi et du royaume. Un moment notable dans ces récits se produit lorsque Shiva, qui réside avec Parvati sur le mont Kailash, descend observer les célébrations de l’Indra festival à Puhar, soulignant ainsi l’importance spirituelle de ces festivités. Ce culte d'Indra, bien que secondaire par rapport à d'autres divinités majeures, occupe une place importante dans les rapports de la relation entre les déesses, les dieux et l'ordre social dans les épopées tamoules.

Vishnu, souvent dépeint comme le sauveur de l’univers, prend également place dans ces récits. Dans le Silappadikaram, un Brahmana que Kovalan et Kannaki rencontrent en route vers Madurai, loue Vishnu en termes éloquents, soulignant son rôle crucial dans l'équilibre cosmique. À Madurai, un épisode important du rasa-lila est raconté, où les jeunes filles de la vache chantent des hymnes dédiés à Krishna et Radha, formant une symbiose de dévotion et de poésie divine. Cette scène, pleine de symbolisme, illustre l'intégration profonde des cultes hindous dans la vie quotidienne et la société.

Kannaki, la protagoniste du Silappadikaram, est souvent perçue comme l'incarnation de la déesse Pattini, un culte extrêmement populaire dans le sud de l'Inde, notamment parmi les bouddhistes du Sri Lanka et les hindous de la côte est de l'île. Le culte de Pattini, qui à l'origine était vénéré par les sectes hétérodoxes telles que les bouddhistes et les jaïns, était également particulièrement prisé par les marchands. Ce culte, assimilé au fil du temps à celui de Kali, voit la déesse devenir une figure de justice rationnelle, bien que cette colère divine, à l’origine justifiée, soit transformée en une force punitive et irrationnelle.

L'intégration de Pattini dans le culte de Kali montre une évolution marquante dans la manière dont les déesses étaient vénérées. Là où la colère de Pattini visait à punir l’injustice, celle de Kali devenait souvent disproportionnée, marquée par une violence extrême et incontrôlable. Ce phénomène reflète un aspect complexe de l’évolution religieuse, où la fusion de différentes traditions religieuses et leur transformation à travers le temps montrent une dynamique d’évolution spirituelle, parfois confuse mais toujours significative.

Dans le bouddhisme, la transition du Hinayana au Mahayana marque une transformation essentielle dans la conception du divin et de la relation entre les humains et les bodhisattvas. Des penseurs comme Asanga et Vasubandhu ont approfondi des doctrines essentielles qui ont redéfini la nature de Bouddha, ouvrant la voie à une spiritualité populaire où les bodhisattvas deviennent les médiateurs entre le monde humain et le monde spirituel. Le concept de Tri-kaya (trois corps de Bouddha) expose les différents aspects de la nature bouddhique : le Nirmana-kaya, ou corps de transformation, qui est celui que le Bouddha prend pour enseigner les êtres humains ; le Sambhoga-kaya, ou corps de jouissance, qui permet aux Bouddhas de se manifester devant les bodhisattvas ; et enfin le Dharma-kaya, le corps du dharma, qui englobe la sagesse parfaite.

La popularité de certaines figures comme Avalokiteshvara, Maitreya et Manjushri reflète l’essor du culte des bodhisattvas, chacun incarnant des vertus telles que la compassion, la sagesse et la protection. Avalokiteshvara, par exemple, est vu comme un bodhisattva de grande compassion, dont l’iconographie met en avant son rôle de médiateur entre les êtres humains et l’atteinte de l’illumination. À travers ses représentations, il incarne la possibilité de transcender la souffrance humaine par la compassion divine, une idée qui a séduit un grand nombre de dévots à travers l’Asie.

La figure de Tara, une autre déité féminine bouddhiste, personnifie la compassion, mais elle est aussi liée à des symboles de protection, qui agissent contre huit grandes peurs, y compris les lions, les éléphants, les serpents, et même les démons. Cette dimension de protection est primordiale dans le contexte des pèlerinages et des cérémonies dédiées aux bouddhas et bodhisattvas. La multiplicité des divinités et des figures spirituelles dans le bouddhisme, à l'instar de Vajrapani, qui incarne la force et la protection, montre la diversité des croyances populaires et leur interaction avec les pratiques monastiques et la philosophie bouddhiste.

Les temples, les stupas et les sculptures des sites bouddhistes comme Ajanta, Kanheri, Sanchi et Bagh, témoignent de cette dévotion, où les représentations de Bouddha et des bodhisattvas sont des éléments essentiels de la vie religieuse. Ces sites, riches en symbolisme et en art, sont des témoins privilégiés de la manière dont les croyances se sont diffuses à travers l’Inde et au-delà, influençant des communautés de toutes sortes.

Dans ces lieux, la vénération des images saintes, des reliques et des statues de divinités comme Avalokiteshvara, Manjushri, et Amitabha, traduit un rapport intime et profond entre les pratiquants et la divinité, où l’humanité cherche à se connecter à l’illumination à travers des rituels et des méditations. Le contraste avec les traditions hindoues, où les cultes de déesses comme Pattini et Kali sont plus centrés sur des aspects de justice et de transformation spirituelle, offre une perspective unique sur l’évolution des idées religieuses dans le sous-continent indien.

Il est essentiel de comprendre que ces cultes, bien que distincts par leurs objets de vénération, sont liés par un même désir humain de transcender les limites de l'existence matérielle et de rechercher une connexion divine. Les pratiques bouddhistes et hindoues, bien qu'évoluant de manière indépendante, ont interagi de manière complexe, se nourrissant mutuellement à travers les siècles. Cela démontre que la quête spirituelle, quel que soit le chemin emprunté, est toujours fondée sur la même recherche d’équilibre, de paix intérieure et de justice divine.