Les souvenirs du passé, en particulier ceux des périodes de stress ou de souffrance, ont une manière étrange de s'ancrer profondément dans notre identité. Il est fascinant de constater que certains événements, en apparence insignifiants, finissent par constituer des éléments clés de ce que nous croyons être, et ce, parfois pendant des années. Les pensées et émotions associées à ces souvenirs réapparaissent souvent de manière automatique, en particulier lorsque nous sommes confrontés à des situations similaires. Pourtant, il est possible d'apprendre à interagir différemment avec ces souvenirs. Au lieu de nous laisser envahir par eux, nous pouvons les observer avec bienveillance et prendre conscience que nous sommes bien plus que ce passé, que ces souvenirs.

Cela ne signifie pas effacer nos histoires ou les nier. Au contraire, il s'agit de nous détacher progressivement de l'idée que notre passé nous définit de manière rigide. Nous pouvons comprendre que nos expériences passées, bien que formatrices, ne doivent pas nécessairement limiter notre vision de nous-mêmes. À travers un exercice simple mais puissant, certains clients commencent à reconnaître des schémas de valeurs constants tout au long de leur vie. Ils réalisent parfois qu'ils ont perdu de vue des éléments de leur identité qui leur apportaient de la joie dans le passé, ou qu'ils ont oublié des aspects importants d'eux-mêmes qu'ils avaient autrefois fermés.

Lors d'un de ces exercices, un client me confia un jour : « Je me souviens de mon enfance, c'était assez heureux. Mais au lycée, tout a basculé. En y réfléchissant maintenant, je me rends compte qu'une grande partie de mon identité est en réaction à ce que j'étais à l'époque. J'ai tellement associé mon identité à cette période de ma vie que je me suis complètement perdu. Je tente de ne plus être cette personne du lycée, mais en réalité, en faisant cela, je reste attaché à elle, ce qui est assez étrange. » Cette observation est révélatrice : tant que nous nous rebellons contre un aspect de notre identité passée, nous ne sommes pas totalement libres d'être nous-mêmes. Nous restons, dans une certaine mesure, attachés à l'image que nous avons de nous à une époque donnée.

Les personnes qui traversent des traumatismes, ou qui se perçoivent comme "brisées", peuvent parfois éprouver des difficultés à envisager leur identité de manière plus fluide. Un client peut, au fil du temps, réaliser qu'il a eu de nombreuses expériences tout au long de sa vie, y compris des moments heureux, mais qu'il a fini par se concentrer exclusivement sur les aspects négatifs. Cela peut être particulièrement difficile pour ceux qui ont vécu des abus ou des traumatismes. Un exemple marquant est celui d'une femme ayant grandi dans un environnement abusif. Après le décès de ses parents, elle se vit offrir une boîte de photos anciennes par ses frères et sœurs. En les examinant, elle réalisa qu'elle souriait sur plusieurs d'entre elles. Elle se souvint des moments où elle et son père prenaient des photos ensemble pendant les orages. Ces souvenirs positifs contrastant avec ses souffrances l'amenaient à douter de ses propres souvenirs traumatiques. Elle se demanda même si elle n'avait pas exagéré ses expériences de l'enfance. Cependant, après un travail thérapeutique, elle comprit qu'il était possible de vivre à la fois des moments de bonheur avec son père et d'avoir été victime d'abus. Les deux réalités coexistaient. Mais reconnaître qu'il existe d'autres aspects de soi que ceux définis par des événements traumatiques est essentiel pour commencer à se libérer.

Ce processus de reconnexion à une identité plus large est essentiel pour alléger le poids du passé. En pratique, cela peut consister à aider un client à se détacher de l’idée que ses mauvais souvenirs définissent toute son existence. Il s'agit de rappeler que nous pouvons observer ces souvenirs sans nécessairement les laisser contrôler notre présent. L'un des moyens d'aborder cela est de guider les clients à explorer leurs souvenirs d'une manière plus ouverte, en leur suggérant de simplement "s'asseoir" avec leurs expériences sans chercher à les éviter ou les minimiser.

Il peut être utile de leur rappeler qu'ils ne sont pas leurs problèmes ou leurs souffrances. Les clients qui ont tendance à se définir uniquement par leurs difficultés – qu'il s'agisse d’anxiété, de stress ou de trauma – ont souvent une vision réductrice de leur identité. Cette identification exclusive avec leurs luttes peut les empêcher de voir qu'ils sont bien plus que cela. Même dans les moments de difficulté, une personne conserve une multitude d'expériences, de talents et de souvenirs qui ne se limitent pas aux aspects négatifs de sa vie.

Il existe aussi une approche plus universelle pour aider les individus à se réconcilier avec leur identité : l’expansion de leur conscience de soi au-delà du cadre de leurs préoccupations immédiates. Beaucoup de clients peuvent l’envisager à travers leur religion ou leur spiritualité personnelle, mais cette démarche peut aussi se faire sur une base plus scientifique ou philosophique. L’idée ici est d’aider le client à se voir comme une partie intégrante d’un tout beaucoup plus vaste, d’un univers interconnecté. Il s'agit d'une reconnaissance profonde que, même si nous sommes des individus avec nos propres histoires et défis, nous faisons également partie d'un tout qui dépasse notre compréhension quotidienne. Prendre un moment pour se méditer sur cette interconnexion peut être un outil puissant pour remettre en perspective les luttes personnelles.

Pour cela, un exercice de méditation peut être proposé. Trouvez un endroit calme, de préférence en pleine nature, et laissez les pensées suivantes résonner en vous : vous n'êtes pas un être isolé. Vous êtes un produit de la nature, de la Terre, de l’univers tout entier. Chaque élément de votre existence est en lien avec le reste de l’environnement. La peau qui vous entoure, loin de vous séparer du monde, vous connecte à lui. Vous êtes un produit de cette Terre, tout comme la Terre est un produit du cosmos. Et, tout comme une feuille sur un arbre, vous faites partie d’un tout plus vaste, qui vous précède et vous survivra. Il est difficile de se voir comme une entité séparée lorsque l’on contemple l’immensité de l’univers.

Reconnaître que nous faisons partie d’un système plus grand peut être libérateur. Cela nous permet de dépasser la vision étroite de nous-mêmes, et d’accepter que nos expériences, bien qu’importantes, ne définissent pas toute notre existence. Nous pouvons ainsi réorienter notre identité vers une perspective plus large et plus enrichissante.

Comment réagir aux réactions traumatiques des clients : Une approche centrée sur l'acceptation et la résilience

Lorsqu'un client présente une forte réaction émotionnelle lors d'une séance de thérapie, il est essentiel d'adopter une approche qui permet de rester présent et d'accepter ces émotions, plutôt que de chercher à les minimiser ou à les éviter. Par exemple, on pourrait dire : « Il semble que vous ayez une réaction très forte en ce moment. Je sais que vous avez déjà vécu beaucoup de ces expériences. Qu’est-ce que vous remarquez en ce moment ? » Cette réponse permet de modéliser un comportement d'acceptation de la réaction, ce qui est crucial dans le travail thérapeutique avec les traumatismes. Mais il est important de souligner que, comme pour toute approche spécialisée en psychothérapie, une formation approfondie est indispensable pour traiter les traumatismes de manière efficace et responsable.

Il existe des situations où l’intervention peut être mal orientée. Lors d’une conférence il y a quelques années, un participant m’a demandé : « Vous avez écrit un livre sur la pleine conscience et le PTSD. Ne pensez-vous pas que la pleine conscience pourrait empirer le traumatisme ? » Ma réponse a été claire : « Oui, cela peut être le cas, surtout au début, car la pleine conscience amène le patient à porter une attention plus grande à ce qui est présent, et certains patients ont passé des années à éviter ces sensations ou pensées. » Ce processus d’évitement est souvent la réaction initiale de nombreux patients. En revanche, dans certains cas extrêmes, les thérapeutes peuvent pousser les patients à revivre des événements traumatiques de manière trop directe, sans tenir compte de leur capacité à supporter ces reviviscences. Cela a des conséquences graves, comme ce fut le cas avec un vétéran du Vietnam qui, après avoir été contraint de rejouer un événement traumatique avec un thérapeute, a fait une rechute violente.

Les recherches récentes ont d’ailleurs montré que les détails précis de l’événement traumatique ne sont pas toujours nécessaires pour favoriser la guérison. Ce qui semble plus important, c’est la manière dont les individus apprennent à se rapporter aux pensées automatiques et aux réactions émotionnelles qui sont restées figées à cause du traumatisme. Il existe un phénomène appelé « Croissance post-traumatique », qui montre que certaines personnes, après un traumatisme, réussissent non seulement à se remettre, mais à devenir plus fortes. Environ 70 % des individus expérimentent un traumatisme à un moment donné de leur vie, mais seulement environ 7 % développent un PTSD (trouble de stress post-traumatique) où les symptômes continuent à affecter leur vie pendant plus d’un mois. Ce qui distingue ceux qui guérissent de ceux qui restent bloqués dans le traumatisme est la manière dont ils se rapportent à leurs émotions et à leurs expériences.

Le concept de croissance post-traumatique ne signifie pas, bien sûr, que la personne va devenir « meilleure » en raison de ce qu’elle a vécu. Il ne s’agit pas de minimiser la souffrance ou d’induire des pensées optimistes avant que le patient soit prêt à les entendre. Au contraire, cela revient à accepter que les événements traumatiques ont eu lieu et que, bien qu’on ne puisse pas changer le passé, il reste possible de choisir la manière dont on vit à partir de ce moment. Par exemple, une personne peut être prise dans la rumination, se disant « Ce n’est pas juste, cela ne devrait pas être arrivé », ce qui la maintient dans un cycle de pensées négatives. Au contraire, en acceptant la réalité du passé, il devient possible de se libérer de cette spirale et de se concentrer sur la question importante : « Quel type de vie je veux créer maintenant, avec le temps qui me reste ? »

Un exemple frappant de ce processus de guérison peut être observé dans le travail avec un vétéran de guerre en Afghanistan. Il m’a expliqué, lors d’une séance, qu’il avait constamment l’impression que des menaces étaient omniprésentes autour de lui : des objets qui pourraient cacher une bombe, des bruits qui éveillaient sa méfiance. Plutôt que de tenter de minimiser cette peur ou de changer de sujet, j’ai reconnu la valeur de sa vigilance : « Cette capacité à remarquer a probablement sauvé des vies en Afghanistan. Beaucoup de vos camarades sont morts parce qu’ils n’ont pas remarqué ce que vous avez vu. » Cette validation a permis au patient de se détendre, car il a compris que cette vigilance n’était pas un défaut, mais une compétence importante. Cependant, il était également pris dans un cercle vicieux : il s’emportait dans ses pensées et émotions, ce qui l’empêchait de vivre normalement. C’est alors que le travail thérapeutique a consisté à lui apprendre à observer ces pensées et émotions sans y être piégé, à accepter leur présence sans les laisser contrôler sa vie. Le travail sur l’acceptation des émotions permet ainsi de réduire la souffrance liée à leur présence.

Les thérapeutes se préoccupent souvent de savoir comment réagir si un client commence à présenter une réaction traumatique pendant une séance. C’est une question légitime, car ces réactions peuvent sembler très intenses. Cependant, une réponse appropriée consiste à montrer au client que, bien que ces émotions et pensées soient présentes, il est possible de les accepter et de les observer. En ce sens, il ne s’agit pas de supprimer ou de combattre ces réactions, mais d’apprendre à les gérer différemment, en modélisant un comportement d’acceptation et de résilience. Cette approche, basée sur l’acceptation, permet aux clients d’apprendre à se distancer de leurs émotions, de leurs pensées et de leurs sensations, tout en restant présents dans l’instant.

Comment cultiver la compassion sans tomber dans la colère du passé?

Il est facile de se laisser submerger par les rancœurs et les blessures du passé. Même après avoir pris conscience des effets négatifs de l'hostilité continue envers ceux qui nous ont blessés, il peut arriver que l'on ressente, de manière automatique, une réaction de rejet ou de colère envers ces personnes. Il est alors essentiel de comprendre que cette réaction instinctive ne sert en rien à réparer les torts subis ni à faire changer ceux qui nous ont fait du mal. Si nous ne prêtons pas attention à cette réponse émotionnelle immédiate, elle risque de nuire à notre propre bien-être et de nous empêcher d’accepter et de soutenir le changement positif chez autrui.

Cela ne signifie pas qu'il faille effacer le passé ou ignorer les actions blessantes. Il est important de se rappeler que se libérer de la colère ne revient pas à justifier ce qui a été fait ni à oublier ce qui nous a affectés. La colère n’a pas de pouvoir sur les événements passés, et c'est en elle que nous puisons une souffrance constante, non seulement pour ceux qui nous ont causé du tort, mais pour nous-mêmes. En choisissant de ne pas entretenir cette colère, on libère de l'espace pour la compassion, non seulement envers les autres, mais aussi envers soi-même.

Une forme de compassion puissante, et parfois redoutable, consiste à poser des limites fermes sans que celles-ci ne soient dictées par la colère. Il est possible, par exemple, d'établir des frontières claires avec un proche en qui nous n'avons plus confiance, comme refuser de lui prêter de l'argent à nouveau, tout en restant empreint de compassion. Ce geste n'est pas celui d'une personne indifférente, mais celui d'un individu qui a choisi de protéger son équilibre intérieur et son bien-être sans sombrer dans la haine ou le ressentiment. Cela demande de la persévérance et une réelle volonté de vivre en harmonie avec soi-même.

La compassion ne signifie pas être passif ou laisser les autres faire ce qu'ils veulent, mais plutôt répondre à la réalité de façon juste et équilibrée. Elle peut revêtir une forme sévère, comme lorsque, dans notre enfance, un parent ou un enseignant impose des règles qui nous semblent injustes sur le moment, mais qui étaient nécessaires à notre développement. Une personne aimante ne nous laisse pas sombrer dans l'illusion du plaisir immédiat; parfois, un refus est un acte de soin, comme le refus d'acheter une barre de chocolat à un enfant, pour préserver sa santé. Ce type de compassion est ancré dans la vérité de la situation, même si cette vérité n’est pas agréable.

La compassion se traduit aussi par un regard bienveillant envers ceux qui, malgré leurs erreurs terribles, cherchent à se réparer. Dans le cadre de la thérapie, par exemple, les clients ayant commis des actes terribles peuvent provoquer en nous des jugements sévères. Pourtant, à travers notre rôle, nous devons chercher à voir la souffrance humaine derrière leurs actions, même si elles sont inacceptables. Ce n'est pas l’acte lui-même que nous devons excuser, mais la reconnaissance de l’être humain qui souffre, qui est parfois dans la recherche maladroite du bonheur à travers des moyens destructeurs. Notre tâche est de les accompagner dans une démarche de transformation, sans pour autant occulter la gravité de leurs actes.

Il est important de comprendre que la compassion n’équivaut pas à la tolérance aveugle. Parfois, elle exige des actions fermes, voire radicales, pour protéger ceux qui en ont besoin. Cependant, cette fermeté ne doit pas être fondée sur la colère, mais sur un engagement profond à créer un environnement de sécurité et de respect, aussi bien pour soi que pour autrui.

L’acceptation, dans le cadre de la thérapie, peut sembler déroutante. Elle n’implique pas de se réconcilier avec le passé ou de pardonner à tout prix, surtout lorsque les circonstances ou les personnes ne sont pas prêtes à réparer ce qui a été brisé. Accepter la réalité du passé et des blessures que nous avons subies, sans tomber dans la rancœur, permet de libérer de l’énergie pour avancer, pour créer du changement. Il n’est pas question d’oublier, mais de prendre acte de ce qui est, et de se concentrer sur ce que l’on peut faire ici et maintenant, dans le présent.

Accepter ne signifie pas que tout va bien, mais simplement que la situation ne peut être changée à ce moment précis. C’est un processus difficile, mais qui ouvre la voie à une énergie nouvelle, une énergie qui permet de se focaliser sur ce que l’on peut réellement contrôler : nos actions dans le présent. Ainsi, plutôt que de se perdre dans le combat avec ce qui ne peut être modifié, la vraie liberté réside dans l’acceptation de l’instant et dans l’action qui en découle.

Dans ce cheminement, il est essentiel de comprendre que l’acceptation ne supprime ni la douleur ni les regrets. Elle nous invite à les vivre, sans être paralysés par eux, et à agir en fonction de nos valeurs. Au lieu de se concentrer sur la correction du passé ou la peur de l'avenir, il devient possible de se concentrer sur ce qui est concret et présent, de vivre chaque instant pleinement et avec un esprit clair.